Amie Lectrice et Ami Lecteur, je vous l’avais déjà narré il y a quelques mois, je suis tombé éperdument sous le charme de l’écriture d’Isabelle Mutin, et je n’utilise pas ce genre de dithyrambe en permanence, vous le savez bien.

La lecture de « Celsius » et de « L’écho de ton silence » m’avaient transporté, car Isabelle sait, à la fois, raconter une histoire, la rendre passionnelle et captivante, mais elle pénètre aussi au plus profond de nos âmes, tensions et fêlures, lors des douleurs vécues quand nos proches dépérissent…, quand nous avons du mal à cerner nos essentiels, que l’on se tiraille entre la construction de nos projets et la réalité incertaine de nos quotidiens…, et surtout elle sait évoquer, au travers des pratiques d’un psychiatre à la fois étonnant, original et inquiétant, les complexités de nos nécessaires introspections et les soubresauts ou déchirures qu’elles peuvent décliner…

Isabelle sait conter le miroir des âmes, elle magnifie son style pour suggérer nos intimités ou déployer nos fougues charnelles ; elle reste impliquée en un champ littéraire positif, malgré la succession récurrente des bouleversements haletants ou désespérés que nos vies parsèment…

J’avais apprécié dans « DeSirium Tremens » sa capacité à parler des choses enfouies, des forces de l’amour passionnel, des nécessités d’aller rechercher au plus profond de soi-même les sensations les plus inassouvies.

Mais elle n’oublie jamais de rappeler que rien ne se passe comme prévu, ou alors rarement, et que nos vies doivent d’abord s’assumer, en respect de ce que nous sommes, en cohérence avec nos envies et différences, pour éviter de se faire broyer par les manipulations, les aphorismes, les faux-semblant et les jugements de valeur.

J’ai retrouvé dans son livre « Finis Terrae »,  qu’Isabelle m’a dédicacé, lors de notre première rencontre, en « vrai », sur Dijon, le mois passé, en un salon d’éditions, toutes les saveurs et forces de mes lectures précédentes, et je vais – très humblement – en espérant ne pas dénaturer la puissance stylisée de l’auteure, vous préciser pourquoi ce livre vous est « invitant », comme on dit joliment au Québec, et pourquoi vous devez instamment suivre mes pas, pour vous y plonger assurément !

L’auteure recommande de lire les nouvelles, qui s’enchevêtrent en son recueil, en cohérence avec la chronologie qu’elle organise.

Cet avertissement est important, car on retrouvera, en récurrence, des « petits cailloux de Petit Poucet » qui s’intègrent dans le livre, aux détours des nouvelles, qui permettent à la fois de retrouver des personnages détaillés auparavant ou de prolonger l’action délivrée antérieurement.

« Le cri du vent » parle avec justesse, aplomb et profondeur, de la violence faite à une Maman par son conjoint, de la volonté de cette dernière à tenter d’échapper aux enfers, en profitant chaque fin d’après-midi d’un moment de délicatesse, avec ses deux enfants, en bord de mer Bretonne, puisque comme le nom du recueil l’indique, toutes les nouvelles donnent essor aux paysages fantastiques et déchiquetés de l’Iroise et de ses îles attenantes.

Quand le mari et père commettra l’irréparable, il sera difficile pour la fille survivante de se reconstruire et de penser à vivre, tout simplement, en essayant d’imaginer un amour possible…

Quand elle y parviendra, avec hauteur et volonté, les démons indicibles des douleurs accumulées ressurgiront…

« Athénaïs » est une nouvelle remarquable pour toute personne (je peux témoigner…) qui a été victime, au moins une fois, de la manipulation par la flagornerie, ou de l’excès de flatterie. 

On est subjugué par une personne dotée de force artistique ou de talents, et cette même personne s’intéresse à nous et nous comble ainsi de bonheurs…

On a envie d’en être aimé et l’on ferait tout pour elle.

Quand on se rend compte qu’à un moment elle nous délaisse, nous critique férocement, quand ce que nous faisons pourrait remettre en question le fait que l’on ne parle plus d’elle d’abord et exclusivement, la violence se place directe et latente, et les conséquences psychologiques subies sont ravageuses.

L’auteure décrit les fondements de ces relations toxiques et sublime son écriture pour que l’on puisse rester digne face à ce type d’adversités insupportables.

« Le cimetière des fourmis » m’a rappelé « Les Oiseaux » d’Hitchcock et une  mauvaise aventure personnelle lors d’une invasion de punaises de lit…

Orphée et Eurydice, aux prénoms bien évidemment non hasardeux, vivent ensemble, mais ne se côtoient pas vraiment.

Lorsque des fourmis s’agglutineront en permanence dans leur demeure, tout leur quotidien sera bouleversé : ils prendront même le temps de rester en bord de mer, eux qui n’y venaient jamais, pour tenter d’échapper à la douce folie qui peut les menacer…

Quand les inquiétants insectes finiront par germer dans leurs esprits, plus rien ne fonctionnera dans leur vie, hormis l’impression qu’ils sont guettés et qu’ils ne peuvent plus échapper à l’infernale présence de leurs envahisseurs…

« Soren Malsor » est un artiste, en cette nouvelle éponyme, peintre de l’île d’Ouessant – qu’Isabelle décrit, à satiété, avec une telle finesse impressionniste, qu’avec ses mots on ressent le vent et les embruns – qui reçoit une jeune femme qui vient de perdre son compagnon,  angoissé chronique et alcoolique obligé pour tenter de calmer ses anxiétés.

Elle désire que le peintre fasse un portrait de son aimé.

Ce dernier donne son accord mais il peindra le compagnon perdu uniquement par ce qu’en raconte la jeune femme, sans photographie et sans repérages.

La force artistique ne réside t-elle pas d’abord dans la profondeur du contact intimiste avec les gens de valeur et de partage, car comme le disait Monet : « je ne peins pas avec mes mains, mais avec mes yeux et mon cœur ».

La narration d’Isabelle peut paraître surréelle ; elle est surtout intelligente, car la vraie poésie s’appuie sur la relation, la discussion, le respect des différences, sur la volonté de construire le beau avec la force de la rencontre.

Alors oui, on peut faire un portrait réussi sans forcément avoir la personne en face de soi !

« Mea Culpa » raconte l’histoire, que l’on a tous vécue, d’une personne qui laisse des messages sur notre portable se trompant de correspondant, et que l’on regrette de ne pas avoir rappelée pour lui préciser sa méprise.

La fin de l’aventure sera tragique en cette nouvelle, mais parfois l’irrationnel sème sur nos pas et nous empêche d’avancer, et la délivrance de ce charme souvent négatif n’est pas évidente…

« La dame aux éphélides » constitue une nouvelle magnifique, car elle est écrite en tonalités délicieuses et harmonieuses, où l’on retrouve la force des estampes japonaises, la tendresse des vers du Rimbaud bohème et l’assurance que l’on peut tout voir, si l’on accepte d’être ému et attiré par les songes, les captations des élans de paysages profonds et sauvages.

Un livre très réussi, que je vous recommande, que je vais offrir à mes amies et amis, car je veux qu’elles et ils puissent partager ces moments de lecture porteurs et marquants !

Bravo, Isabelle, pour votre talent de conteuse, de poétesse, et pour la saveur enivrante de votre écriture !

Non, je ne suis pas laudateur circonstanciel, je suis contemplatif et vous remercie sincèrement !

Éric

Blog Débredinages

Finis Terrae

Isabelle Mutin

Les Éditions Mutine

18€