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débredinages – "s'enrichir par la différence !"

Mois

mars 2018

Bretzel Blues de Rita Falk

Amie Lectrice et Ami Lecteur, je vous avais narré l’an passé quel fut mon contentement à la lecture de l’univers de Rita Falk, lors de ma découverte de l’auteure avec son opus « Choucroute Maudite ».

Elle associe humour décapant, décalage volontaire, et ingrédients de roman noir ciselé, permettant de délivrer une enquête policière mêlée étroitement à une analyse sociétale de la ruralité de Bavière.

J’avais particulièrement aimé le caractère du commissaire Franz Eberhofer, personnage truculent et direct, qui ne se laisse pas encombrer par des principes théoriques et qui sait manier une investigation pour aboutir à sa résolution, malgré les embûches et les vicissitudes.

Et Franz ne peut pas passer une journée sans avoir le plaisir de savourer quelques douceurs de charcuterie, quelques plats émérites de sa « Mémé » et en dégustant régulièrement des bières. On pourrait considérer qu’il s’agirait de poncifs sur le Bavarois et l’on se tromperait, l’auteure dénonce les insuffisances de sa Région et ses petites lâchetés mais sait aussi nous rappeler aux courtoisies de la vie et aux partages des bonnes choses.

Le commissaire est appelé par le Principal du Collège, qui vient de découvrir des inscriptions insultantes très claires sur le mur de sa maison. Franz repère assez vite que le Principal ne lui apparaît nullement sympathique et que cet avis est sévèrement partagé par les élèves et les parents qu’il peut rencontrer en ses sphères amicales.

Le Principal demeure absent et injoignable, pendant quelques jours, et le commissaire se rend chez la sœur du Principal, qui n’a plus de contact avec lui depuis longtemps et qui ne le considère pas comme membre de sa famille, et qui se désintéresse de lui ; quand le Principal refait apparition, le Commissaire est intrigué et quand il se rend chez lui, il ne peut que corroborer son impression de départ sur la suffisance de l’intéressé et son peu d’intérêt en relationnel.

Mais quand son cadavre est retrouvé « façon puzzle », sur une voie ferrée, après le passage d’un train, notre Commissaire penche rapidement pour une exécution et pas pour un suicide.

Ce roman vous apportera successivement ou de manière délicieusement entremêlée :

  • Une mise en bouche totalement formidable avec la confection notamment des petits pains à la vapeur de « la Mémé » et en croisant la charcuterie saisissante et savoureuse de chez Simmerl, que Franz affectionne
  • Une appréciation très drôle des péripéties amoureuses de Franz et de « sa Susi », qui n’arrivent pas à se détacher de leurs ébats ou de leurs tensions et coups de gueule, mais qui ressentent difficilement bilatéralement le possible amour de La Susi vers un bellâtre Italien dont nous attendons avec impatience la résultante pour un prochain opus…
  • Une dynamite en règle des relations familiales avec l’agacement majeur du Léopold, le frère du commissaire, antithèse totale de son caractère, quand Franz réussit seul à endormir sa nièce métissée, qu’il persiste à appeler Sushi, en rajoutant un « s » à son prénom
  • Une enquête méthodique appuyée sur des analyses médico-légales poussées et des expertises mettant en lien tous les réseaux professionnels passés du commissaire, où cohabitent Günter et Rudi, aux réalités totalement déjantées et/mais professionnelles
  • Une drôlerie permanente et une cocasserie– même si le terme est galvaudé –jubilatoire, qui structure une lecture agréable avec une connaissance nécessaire de la vie sociétale en Bavière où les rapports de voisinage sont souvent épiés et où les cachotteries sont légion…

Une auteure formidable que je vous invite à apprécier et conquérir, qui m’a mis l’eau (et la bière…) à la bouche et pour laquelle la nouvelle livraison du prochain opus est attendue, en ma bibliothèque, en priorité.

 

Éric

Blog Débredinages

 

Bretzel Blues

Rita Falk

Traduit de l’allemand par Brigitte Lethrosne et Nicole Patilloux, bravo à elles !

Mirobole Éditions

19.50€

 

Avec mes amitiés vives à Sophie, fervente dénicheuse de romans différents et à qui j’adresse ma gratitude pour son travail d’éditrice ! Salut Sophie !

Et Rita, nous nous sommes rencontrés, l’an passé, après une conférence lors de Quais du Polar à Lyon, et j’avais discuté avec vous, avec mes rudiments de langue de Goethe, et ce fut un vif plaisir de prolonger les saveurs de vos romans en cet instant partagé.

Satanas de Mario Mendoza

 

Roman noir, analyse sociétale approfondie de la Colombie, dénonciation des inconséquences de pratiques violentes tolérées et installées, incommunicabilités familiales, impossibilité d’accepter les différences, tels pourraient être les qualificatifs à affecter à ce livre tonitruant, haletant, pénétrant et surtout sans concession aucune, qui se place à Bogota, dans les années quatre-vingts.

Ernesto est prêtre, mais il y a longtemps qu’il a cerné que la guérison potentielle des âmes passait d’abord par une rencontre permanente avec les humbles, pour cerner leurs peines et leurs vécus et pour leur apporter appui, réconfort, pour non seulement les écouter mais aussi partager avec eux leurs contraintes, pour tenter d’aller avec eux vers un mieux-être…

On le sent sensible aux inspirations de la théologie de la libération qui avait entraîné quelques prêtres à suivre la révolution Sandiniste au Nicaragua, avant que Jean-Paul II ne les sermonne fermement en public, avec un rappel à l’ordre sur la sacralisation de leur mission qui ne saurait suivre une aventure humaine, encore moins marxisante…

Ernesto aime Irene et sent que l’appel à devenir défroqué s’annonce… car les charmes d’Irene et sa chaleur sensuelle développent plus de positivité qu’une relecture intempestive évangélique.

Ernesto prend du temps, en son confessionnal, pour apporter du soutien, de l’empathie, de la compassion, mais quand un pauvre homme qui n’a plus le sou envisage de tuer les membres de sa famille pour ne plus avoir à se reprocher qu’il ne peut plus rien faire pour eux, il alerte avant son passage à l’acte. L’irréparable advint pourtant et le pauvre homme se place comme un meurtrier absous par le prêtre, ce qui déconcerte et révulse Ernesto…

En lisant cette partie-là du livre, crûe et directe, je me remémorais le film de Claude Autant-Lara, passé de la CGT au Front National je le sais, mais je vais différencier le parcours de l’homme de son œuvre, si vous me le permettez, « L’Auberge Rouge », où Fernandel, prêtre, confessait Françoise Rozay, aubergiste, qui lui confiait que tous les passants de nuitée étaient détroussés et assassinés depuis des années en son hôtel… Fernandel était tiraillé entre respect du secret de la confession et nécessité d’alerter les personnes en place dans l’auberge pour la nuit. Ce fut certainement le rôle le plus marquant pour Fernandel et Ernesto lui emboîte le pas, par sa candeur et sa douceur, son affliction et son courage et sa volonté très humaniste.

Andrés vit correctement de ses talents artistiques et notamment de portraitiste, il est reconnu et quasiment installé ; il a vécu une relation torride et passionnelle avec Angélica mais qu’il a contribué à clôturer, rendant la jeune femme au désespoir et l’artiste dans l’absolue pureté de ne se consacrer qu’à son œuvre.

Lorsqu’il repère qu’en peignant un portrait il est attiré par des forces incontrôlables qui l’obligent à traduire ce qui va arriver dans un proche avenir aux personnes qui posent devant lui, il se sent à la fois terrifié et impuissant et le besoin de conseil devient impératif. Angélica veut absolument qu’Andrés lui fasse son portrait et elle considère le refus de l’artiste comme lié à leur rupture et quand Andrés consentira à s’exécuter, et donc ainsi à découvrir le mal qui ronge la jeune femme, il voudra reprendre lien avec elle…

Les pages de tension entre les deux amants écartelés sont totalement magnifiques, déchirantes, et elles subliment la passion qui part de la force des sentiments à la détestation et de la volonté de reconstruire au chapelet d’injures. Il faudra qu’un réalisateur utilise cette force émotionnelle et de tension pour en faire vivre « un vrai beau film », comme on dit au Québec, sans jamais avoir l’apparition du mot « fin ».

Maria vit d’errances, son petit commerce où elle propose quelques boissons au marché et pour lesquels ses clients cumulent des ardoises ne lui rapporte pas beaucoup. Elle est sans arrêt victime de sarcasmes sexistes et d’une propension abusée des hommes à lui indiquer que la voie pour gagner beaucoup d’argent, du fait de son charme indéniable et racé, signifierait qu’elle accepte de s’offrir à eux. Elle ne supporte plus ces œillades et se désespère.

Quand deux jeunes garçons lui proposent de séduire dans un night-club des « richards » de passage, pour leur placer un anesthésiant dans leur verre, permettant ensuite aux garçons de récupérer argent et affaires des infortunés séduits, elle saute le pas… car elle peut connaître une vie enfin aisée avec appartement, fringues et possibilité de penser à elle.

Mais en prenant un taxi, elle rencontrera deux violeurs et elle ne pourra imaginer que la vengeance acérée, pour laquelle elle n’aura jamais aucune honte, considérant que son humiliation ne trouvera réconfort que par l’assistance à une autre humiliation en retour, vécue directement par ses bourreaux.

Maria fut la protégée d’Ernesto, Andrés appartient à la famille d’Ernesto et ils ont tous les trois des tas de choses à se dire, et une invitation dans un restaurant apprécié semble le bon moment pour partager craintes et tensions et considérer l’avenir sous une autre face, peut-être enfin positive et plus alerte…

Campo Elias, ancien vétéran du Vietnam avec les forces américaines, reprend des études et vit de ses cours d’anglais donnés à domicile. Il est détesté de ses voisins car il se place sans chaleur et sans compassion aucune et ne voit que son individualité.

Il analyse de manière récurrente le livre de Stevenson « Docteur Jekyll et Mr Hyde » et l’a tellement interprété et surjoué qu’il a acquis l’intime conviction que chaque individu se place en bipolarité, avec des moments rares d’apaisement et une extase onirique portés par un déferlement de violence, incarnée par Satan et qu’il doit conquérir et structurer.

Et il se prépare pour ce moment important de jouissance par le côté réputé salvateur de purifier son âme en tuant de sang- froid celles et ceux qui pensent œuvrer pour le Bien, alors qu’ils se doivent d’affronter le mal incarné vers lequel ils sont destinés…

L’auteur, en postace, nous précise qu’il a rencontré Campo Elias, en ses études, et qu’il en frémit encore, mais quand on sait la violence qui incarna la Colombie pendant de nombreuses années, on se dit que le règne de Satanas s’est imposé et a produit sa gangrène de manière insidieuse puis impitoyable, devenant même la norme…

J’aime beaucoup les messages de l’auteur, en déférence à Stevenson, cet écrivain dont on ne connaît que le merveilleux « l’île au trésor » et qui a combattu pour le droit des Samoans à disposer d’eux-mêmes, contre l’Empire Britannique, alors qu’il en possédait la nationalité et il est enterré là-bas et j’espère bien, un jour, le saluer sur place… J’ai cet écrivain, en passion. En 2013, en sa bonne ville d’Edimbourg, je suis allé sur ses traces et j’ai rencontré un de ses exégètes et on a parlé longuement de sa vie, de son œuvre et son parcours Francophile avec un âne dans les Cévennes et le rappel du fait qu’il ait utilisé comme prénom Robert-Louis et non Robert-Lewis, en hommage à notre langue.

Je vous invite à lire ce livre, une nouvelle offre de choix publié par Asphalte, et vous ne resterez pas indifférent ni à sa teneur, ni à son style, ni au charisme des personnages ou à leur emboitement enchevêtré pour le meilleur et pour le pire ; une vraie réussite littéraire, vraiment !

 

Éric

Blog Débredinages

 

Satanas

Mario Mendoza

Traduit de l’espagnol (Colombie) par Cyril Gay

Asphalte Éditions

22€

Microfilm d’Emmanuel Villin

Quand le talent du conteur s’associe à l’originalité narrative comme à l’analyse sociétale, nous nous approchons du plaisir inhérent au coup de cœur littéraire, à célébrer et proclamer, sans réserve !

Sans flagornerie hasardeuse qui ne se placera jamais en l’inspirante et dynamisante maison d’édition Asphalte et sans éloge par trop contempteur de l’auteur, je tiens cependant, en cette humble chronique, à dire pourquoi j’ai fortement aimé le livre et pourquoi vous ne pouvez passer à côté de ce moment rare que vous vivrez, en vous y plongeant, car vous vibrerez en des séquences qui mêleront et associeront émotion, décalage, sens de l’absurde, mais aussi réflexions aiguisées sur nos réalités rudes contemporaines.

J’ai retrouvé, en ce livre, la saveur de Ionesco dans la Leçon et ses multiples rappels « comme c’est bizarre, comme c’est curieux et quelle coïncidence… » et de Rhinocéros où l’implacable inconséquence de ce qui est vécu ne peut être contrariée, même si ce qui se passe apparaît sans repère ni cohérence…

Un figurant cinéphile averti et en connaissance appuyée sur la genèse des films et sur leur analyse inventoriée, tente de survivre, entre castings plus ou moins opérants et sollicitations de Pôle Emploi l’incitant à ouvrir son profil de recherche…

Il répond à une annonce, que son Conseiller l’incite à analyser, et trouve presque surprenant que l’on cherche à le contacter aussi rapidement et directement.

Il se présente en une « Fondation pour la paix continentale » située Place Vendôme, peu évidente à repérer, pas forcément accessible au regard, pourtant en un des lieux les plus voyeurs de la Capitale, et se voit engagé, quasi immédiatement, avec pour missions de microfilmer des documents ou d’analyser des dossiers et pièces microfilmés, mais sans appareil de visionnage encore présent, ni disponible…

En attendant que sa mission première prenne forme concrète, on lui demande de compulser une sorte d’encyclopédie explicative de la Fondation et d’en tirer quelques éléments visant à en faire ressortir des axes de communication exploitables pour des publications.

Ces éléments communiqués, le relief inhérent à ce livre étonnant et fort apparaît sur plusieurs strates, en évocation des personnages :

  • Nadège, la secrétaire de la Fondation, avenante et accompagnante de notre personnage principal, pourra apparaître sous un jour différent en d’autres situations… « Aménité un jour, déshumanité toujours … », disait le regretté Desproges…
  • Celle que l’on peut appeler référente « ressources humaines », Lydie Soucy, se positionne avec une communication retenue, mais qui vogue de l’indifférence au cinglant, et qui magnifie au plus haut moins la densité du travail qui l’attend et par délégation la haute responsabilité qu’elle s’imagine développer…
  • Le directeur de la Fondation, qui n’en est pas le Président, – ce que Lydie Soucy répète à foison, marquant par là-même son attachement à l’autorité suprême et pas à se laisser conter par d’autres moins en référence… – semble errer sans mission définie et pourtant il semble se sentir indispensable, derrière des paravents de fumée de cigare…

Quand un spécialiste du juridique recruté avec verve, passionné aussi de cinéma et échangeant des connaissances avec notre personnage principal, se trouvera vilipendé et même mis en retrait de manière tout à fait insupportable par Lydie Soucy et Nadège… et que notre personnage principal, voulant prendre de ses nouvelles, apprendra avec stupeur ce qu’il est advenu de lui, la perception de la Fondation deviendra, pour lui, bien plus périlleuse…

Et un déplacement à Lisbonne pour remettre des feuillets de dépliants et en une rencontre qui laisse planer tous les doutes potentiels sur l’existence possible, en la Fondation, du secret diplomatique ou des missions discrètes, notre personnage principal errera à la recherche de son Patron, pour finir par revenir sur Paris, sans savoir pourquoi il avait fait le déplacement, ces contraintes ressenties deviendront plus majeures…

Il faut lire ce livre comme une ode à notre vécu d’incommunicabilité, où l’on croise des collègues sans se soucier s’ils vont bien ou pas, où l’on est capable de côtoyer quelqu’un mais ne plus s’intéresser à ce qu’il devient, surtout s’il disparaît de la circulation du jour au lendemain, où l’individualisme prend le pas sur le collégial et où l’indifférence et la déférence règnent en parfaite harmonie, sans approche d’un minimum d’ancrage solidaire…

Il faut lire ce livre comme une oraison à l’absurde, car l’on sait bien que le rationnel n’est pas ce qui guide le plus nos actions et donc que l’inconséquence peut se placer en notre quotidien…

Notre héros peut parfois considérer qu’une journée de travail sans mission s’entend et s’organise, que l’absence de mission définie ne se conditionne pas comme une impasse impossible à gérer…

Mais le livre invite surtout à la réflexion sur la condition au travail de celui ou de celle qui sans repérage de ce qu’il a à faire, sans prise en charge collective de son domaine d’activité, peut facilement tomber dans le désarroi, le doute, le déchirement, le stress et donc la dépression…

Il faut lire ce livre si l’on veut reconnaître la cohérence des lignes de métro Parisiennes, dans leur défilé en litanie, si l’on veut arpenter les cimetières comme un nécrosophe (philosophe de la nécrologie, comme le déjanté Bertrand Beyern, que j’admire, et que j’ai rencontré un jour au Père Lachaise, en 1999) et si l’on veut revoir des films d’auteur de référence, car l’auteur parsème à satiété des messages clairs sur des rappels de séquences qui nous invitent à la projection. J’ai même fait ma liste de DVD pour un prochain anniversaire qui arrive…

Il faut lire ce livre en se disant qu’il ne faut jamais, même sous prétexte de rémunération correcte et de possible sécurité d’employabilité (ce qui représente tout de même un luxe investi pour un figurant) accepter ce que l’on nous présente, sans être capable d’en cerner la signification, l’utilité, la fiabilité et surtout la reconnaissance humaine qui s’attache à celle ou celui à qui l’on confie une tâche. Restons humains et en aménité et détestons la déshumanité !

Merci à Emmanuel Villin pour son style aéré, incisif, poétique, pétri d’humeurs et qui se savoure comme une ode à la fraternité, en prenant un Communard en un Bouchon Lyonnais.

Emmanuel, venez sur Lyon, on flânera et on « bouchonnera » !

 

Éric

Blog Débredinages

 

Microfilm

Emmanuel Villin

Asphalte Éditions

16€

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