Ce roman, qui se nomme aussi parfois Le Petit Chose, me fut relu récemment lors d’une promenade magnifiée en Jordanie dont j’ai partagé quelques souvenirs en publications.
J’avais apporté ce livre car j’ai toujours été fasciné par le style d’Alphonse Daudet mêlant vocabulaire ciselé et intransigeant, puisant dans les racines les plus pures de l’écriture française littéraire, et capacité à parler des choses de la vie tranquillement, humblement, y compris dans les descriptifs des parcours les plus rudes.
L’on ne saura jamais si Daniel Eyssette, le héros souvent frêle et sombre du livre, se place avec des liens directs avec l’auteur, Alphonse Daudet, en son enfance vécue, mais il reste qu’il est dédié à Léon, son fils, qui deviendra un auteur membre de l’académie Goncourt, polémiste redoutable, homme de poids craint de L’Action Française dont il fut chroniqueur sans concession, avec Maurras, pendant une part non négligeable du premier tiers du vingtième siècle.
Daniel aime sa Provence de souche, il flâne dans la propriété familiale entre champs, senteurs des arbres, chemins de terre, il invente des histoires, souvent avec des combats imaginaires avec le fils du métayer voisin qu’il prend parfois comme souffre-douleur.
Puis tout s’écroule quand de mauvais placements liés aussi à un manque de compétence commerciale du père feront dépérir la fortune familiale comme ses activités.
La famille doit vendre, déménager sur Lyon où le père s’affectera au service de sociétés tout en sollicitant le placement immédiat de deux de ses fils en apprentissage.
Daniel conservera cependant de la traversée en bateau, sur le Rhône, un moment d’imaginaire fécond même s’il oublie, sans que l’on repère comment cela a pu vraiment se passer, sur le pont, son perroquet chéri auquel il avait appris à réciter quelques mots…
L’appartement qu’ils occuperont, à Lyon, sera décrit comme livré aux quatre-vents, comme fétide, terreau à maladies, obscur, et s’il sort du sordide direct il ne s’en tient pas trop éloigné.
Quand le dernier fils de la famille, séminariste, homme apprécié pour sa droiture, sa transmission de confiance décède en jeune âge d’une sorte de phtisie, la famille s’enfonce dans la détresse et celle-ci ne fait que débuter…
La mère doit vivre aux crochets de son frère dans le midi quand l’appartement de Lyon doit être lui aussi quitté et tous les maigres biens vendus, sous les ordres de sa belle-sœur qui se donne des airs de virago ou de marâtre, lui rappelle en permanence, méchamment, combien « sa générosité » lui évite la rue…
Daniel deviendra surveillant et prescripteur dans un lycée provençal où il sera apprécié pour ses qualités de conteur d’histoires auprès notamment des plus petits, mais où il sera raillé par les plus grands pour son allure chétive, son manque d’autorité ou son autoritarisme circonstanciel mal placé, qui entraîneront qu’il sera souvent chahuté, où il sera aussi déconsidéré par ses collègues qui ne voient en lui qu’un gamin pion qui ne partage même pas leurs envies de tavernes…
Seul le réconfort chez un homme de clergé, professeur de philosophie, puisqu’à ce mitan du XIXème siècle les cours de passaient souvent au sein des institutions religieuses, lui procure un apaisement, permet à Daniel d’étudier car il veut gagner sa vie et bien, réunir la famille éparpillée.
Quand il devra quitter le lycée, suite à une cabale d’un père riche contre lui qui sera offensé de ce que ce jeune pion ait pu réprimander son fils pourtant insupportable de suffisance, il s’en retournera sur Paris pour retrouver son frère qui se voit certain que Daniel deviendra un écrivain, un homme de plume talentueux.
Son frère travaille dur, ne mesure pas sa peine pour apporter à son frère le confort d’un appartement et le gîte, y compris le midi en taverne, pour qu’il consacre tout son temps à la réalisation de son œuvre.
Ce frère amoureux de la fille d’un ami de sa mère, que cette dernière avait sauvé en payant la dîme de trois ans d’armée (puisque l’on pouvait échapper à la conscription avec de l’argent), comprend même que Daniel est celui que la jeune femme veut comme son homme de vie, il acceptera, malgré le chagrin qui le ronge, à laisser sa place pour ce frère qui deviendra un grand homme des arts, c’est une évidence…
Mais Daniel, s’il écrit un livre à compte d’auteur, ne le vend pas, et quand son frère part en voyages avec son employeur qui lui dicte ses mémoires, lui qui est employé comme copiste, il se met à emprunter des sommes qu’il ne pourra jamais rembourser, à faire le pseudo acteur dans des pièces de bas niveau, à quitter l’appartement affecté, à oublier sa promise…
Je vous laisse cerner ce qu’il adviendra en lisant ce livre exceptionnellement écrit et décrit qui ne sombre pas dans l’obscur permanent mais qui démontre que la valeur humaine essentielle passe par le fait de ne dépendre de personne, de suivre son chemin malgré les embûches et critiques, même les plus acerbes, de tenter de faire le bien tout en sachant, comme le dira plus tard Céline, que « nombre de personnes vous reprocheront d’avoir voulu les aider, les appuyer, les sauver avec une ingratitude affirmée… ».
Éric
Blog Débredinages
Histoire d’un enfant – Le petit chose
Alphonse Daudet
Bibliothèque verte de mon enfance, ici un livre déniché de 1978
2.50€ chez le bouquiniste du dimanche matin, premier du mois, place Jean Macé à Lyon 7ème