THEATRE – DOM JUAN de Molière mise en scène, décor et costumes Macha Makeïeff avec Xavier Gallais, Joaquim Fossi, Khadija Kouyaté, Xaverine Lefebvre, Anthony Moudir, Irina Solano, Pascal Ternisien, Vincent Winterhalter et la mezzo-soprano Jeanne-Marie Lévy au TNP en mars 2024.

Crédits photos = Juliette Parisot/Hans Lucas – copyright

Xavier Gallais (Dom Juan) et Irina Solano (Done Elvire) sur la photo

Hier j’ai eu le bonheur de me rendre au Théâtre National Populaire de Villeurbanne pour assister à la mise en scène par Macha Makeïeff du Dom Juan de Molière.

J’avais déjà vécu un moment de grâce avec la mise en scène de la pièce à la Comédie de Saint-Étienne en 1996 avec Jerzy Radziwilowicz dans le rôle-titre, l’acteur indépassable de L’homme de fer d’Andrzej Wajda.

Elvire s’inquiète du départ précipité de son mari Dom Juan.

Gusman, son écuyer et Sganarelle, le valet de Dom juan, brossent un portrait peu reluisant du maître, le présentant comme totalement immoral.

Dom Juan a prévu d’enlever une jeune fiancée.

Il abandonne alors sans explication une Elvire furieuse.

À la campagne, le paysan Pierrot décrit à sa promise Charlotte les deux hommes qu’il vient de sauver de noyade en un lac (Dom Juan et Sganarelle).

Ceux-ci arrivent alors, et sans vergogne, Dom Juan se met à persuader Charlotte de l’épouser dans le dos de Pierrot.

Puis débarque Mathurine, une autre paysanne, à qui Dom Juan avait également promis le mariage, qui ne comprend pas, s’indigne de la situation.

Dom Juan arrive encore une fois à s’en tirer sans dommage, privilégiant la jalousie entre les deux femmes, leur indiquant qu’elles verront bien qui des deux aurait raison sur ses promesses passionnelles, il s’enfuit avec son valet, car ils seraient poursuivis par un groupe d’hommes.

Dom Juan tente de faire jurer un mendiant, en chemin, contre remise d’une pièce d’or poussant le pauvre à refuser pour ne pas se percevoir damner.

Il vient en aide auprès d’un gentilhomme attaqué par trois brigands, ne sachant pas que la victime se repère être Dom Carlos, le frère de Done Elvire, lui-même à la recherche de Dom Juan pour laver l’injure qu’il a faite à leur famille en quittant Elvire.

Dom Alonse, l’autre frère d’Elvire, absent au moment du brigandage, qui lui reconnaît Dom Juan, veut le prendre en duel immédiatement, mais Dom Carlos l’en empêche par reconnaissance envers l’homme qui l’a sauvé.

Reprenant leur chemin, Dom Juan et Sganarelle arrivent devant le tombeau du Commandeur, un homme que le séducteur a autrefois tué.

Il invite alors la Statue du Commandeur à dîner chez lui.

Chez lui, Dom Juan voit son festin interrompu par de nombreuses personnes : Monsieur Dimanche, son créancier qu’il renvoie en l’inondant de compliments et flagorneries, puis Dom Louis, le propre père de Dom Juan lui reprochant son comportement immoral, inconséquent et Elvire qui vient l’avertir du futur, s’il continue à s’affranchir des « courroux du Ciel ».

La Statue du Commandeur l’invite à son tour à dîner avec elle le lendemain : Dom Juan accepte (cette sollicitation explique le sous-titre de la pièce de Molière, Le Festin de Pierre).

Dom Juan fait croire à Dom Louis qu’il a enfin décidé de changer, de devenir meilleur, d’accepter de méditer sur sa vie dissolue pétrie de mensonges, de vilenies, ce qui rend son père, comme Sganarelle fous de joie éperdue.

Une fois Dom Louis parti, Dom Juan fait l’éloge de l’hypocrisie : il ne changera pas, prétend qu’il reste ainsi en phase avec une société de faux-semblants, qu’il n’a pas inventée, qu’il fait sienne.

Il refuse ensuite le duel que lui propose son beau-frère Dom Carlos pour venger Elvire, précisant qu’il se retirerait en couvent comme Elvire imagine le faire, pour elle, après les trahisons d’amour qu’elle a dû endurer.

Une fois Carlos parti, un spectre surgit, demandant une dernière fois à Dom Juan de se repentir, mais il refuse encore.

La Statue du Commandeur apparaît alors, envoie Dom Juan en enfer, laissant Sganarelle seul à pleurer la perte de… ses gages, car la vie réelle doit toujours aussi s’appliquer par-delà les messages sacrés…

Xavier Gallais dans la pièce actuellement en représentation au TNP accentue sa position de séducteur volage, infidèle, qui n’hésite pas à quitter sa femme pour aller promettre le mariage à n’importe quelle paysanne de rencontre fortuite.

Mais le comédien démontre que le libertinage de Dom Juan ne se place pas seulement sur le ressort amoureux, il se prolonge aussi à un niveau intellectuel.

Dom Juan ne croit pas en Dieu, se moque des croyants.

La pièce de théâtre décrit ainsi la crise de l’aristocratie qui traverse l’époque de Molière.

Une aristocratie d’honneur, fidèle aux bravoures et probités, « idéale » est incarnée par le père, Dom Louis, qui représente l’honnête homme au XVIIe siècle, cultivé et sage.

Dom Juan reste cependant une pièce de théâtre bien mystérieuse.

On pourrait penser que Molière, en mettant en scène un héros mécréant, libertin, fait un joli pied de nez aux dévots, à la morale de son époque comme il l’avait fait auparavant avec son Tartuffe censuré.

Mais la fin de l’histoire montre que Dom Juan se retrouve condamné par le Ciel, envoyé en enfer.

Le pécheur qui finit puni par Dieu, cela s’affecterait plutôt comme une morale chrétienne…

Mais avec la toute dernière réplique « Mes gages ! », prononcée par Sganarelle, clairement ironique et humoristique, il est démontré que le serviteur s’intéressait surtout à son salaire, que l’appel des enfers reste donc assez modeste, relatif…

Un dernier message de l’auteur pour continuer de pouvoir se moquer librement de tout…

Macha Makeïeff transporte la pièce dans le XVIIIème siècle où triomphe avec Sade les excès de tous les libertinages.

Dom Juan se voit non pas penseur libre mais insolent, menteur, avide d’hypocrisies transgressives.

Elle développe une réflexion contemporaine sur les séductions qui deviennent des emprises.

Sganarelle se définit avec Vincent Winterhalter, comme acteur formidable, comme un homme fasciné par Dom Juan, totalement sous sa coupe physique.

Molière jouait Sganarelle dans sa pièce et la metteuse en scène souhaite que la pièce rappelle que l’auteur était accusé de toutes les perversions avec l’interdiction de son Tartuffe monté auparavant.

Elle réussit à montrer une Elvire puissante, révoltée, digne, des paysannes qui repèrent qu’elles sont manipulées, qui s’émancipent en se sauvant, en étant séduites par Dom Juan, mais l’observant en face quand elles devinent de viles manigances.

La metteuse en scène ne souhaite pas désigner les femmes de la pièce comme des victimes (qu’elles sont clairement cependant) mais elle fait en sorte qu’elles s’interrogent sur leur sidération face à la violence de Dom Juan, prêt à tous les excès, tous les stratagèmes pour que sa passion dévorante lui apporte de futures proies.

Elvire exceptionnelle dans la pièce, avec Irina Solano remarquable, finit par déclamer à Dom Juan que sans elle il n’existe plus vraiment, qu’il a existé dans son désir, mais privé d’elle il ne pourra plus vivre.

Les silences de Xavier Gallais, génial en son rôle, cruels, implacables, qui repoussent Elvire font face à la communication directe, fiable, d’une Elvire précise, digne, nette, factuelle, qui sait tenir tête.

Avec une mise en scène où musique de clavecin, chorégraphie permanente, jeux de lumière en clair-obscur s’enchevêtrent avec bonheur, vous passerez un moment fort réflexif, culturel, totalement pétri des actualités sur les violences faites aux femmes toujours à dénoncer, sur l’hypocrisie flagorneuse qui domine les débats du politique en récurrence, car nous restons toujours à la recherche d’honnêtes femmes et hommes comme Simone Veil, comme Robert Badinter…

Éric

Blog Débredinages

Dom Juan de Molière

Mise en scène de Macha Makeïeff

Au TNP de Villeurbanne jusqu’au 22 mars 2024