Amie Lectrice et Ami Lecteur, je vous avais déjà conté les tribulations de Santiago Quinones, lors de la parution du roman « Les rues de Santiago » et je vous avais déclamé que j’avais aimé fortement la tonalité d’écriture, la force émanant des personnages, la volonté de l’auteur de parler de la réalité sociétale sans compromis.
Cet opus s’inscrit parfaitement dans la veine de son précédent.
D’abord il place les villes de Santiago du Chili comme Valparaiso et Vina del Mar comme des personnages à part entière, en tant que Cités où se trament des réalités rudes, insupportables par séquences.
J’ai parcouru ces villes magnifiées en 2008, je pense assez bien les connaître, les retrouver en un roman, permet d’en savourer les parfums, d’en retrouver les odeurs, de s’en remémorer les blessures et fêlures.
Vina del Mar constitue une station balnéaire au bord du Pacifique, huppée et assez kitch, mais qui présente l’attrait de plages avec la présence d’otaries et de pélicans (j’ai testé) offrant un souvenir assez inoubliable, Valparaiso compile un port industriel et une ville haute colorée avec en surplomb la remarquablement décalée Sebastiana, villa de Pablo Neruda, Santiago renferme une multitude de quartiers facilement joignables à pied et à l’histoire terrifiante entre stades de sinistre mémoire et palais présidentiel de La Moneda où un assaut eut lieu aussi un 11 septembre, en 1973.
Jimenez, le compagnon de route et collègue de Quinones, vient de mourir, lors d’une fusillade nourrie face aux narcotrafiquants. Sa veuve éplorée et un pseudo-message apparemment programmé pour transmission à Quinones sollicitent ce dernier pour que justice lui soit rendue.
Et Quinones comprend vite que Jimenez, qui avait les affaires internes de la police en surveillance, et qui pouvait avoir perçu que son ancien pote décédé avait trempé dans des affaires louches, avait repéré un réseau de personnes accoquinées où pédophilie, prostitution, meurtres et crapuleries en tous genres s’organisaient avec la complicité conjointe lugubre du politique comme de la sécurité civile.
Quinones, dont l’épouse aimée, Marina, s’attache de moins en moins à lui, qui pourrait prendre la tangente aisément rapidement, malgré une proposition de location de chalet aux tarifs du comité social de la police…, est vite approché, lors d’une rencontre au sein d’une association structurée par un avocat des droits civiques, par Yesenia, une ancienne voisine, lorsqu’il était adolescent, qui a été abusée sexuellement en permanence par son beau-père…
Ce roman noir, très bien écrit et traduit, surfe ensuite dans toute son étendue sur plusieurs réalités complexes nécessitant des réactivités appropriées que Quinones ou son collègue Marcelo, prêt à l’appuyer au-delà même de la solidarité professionnelle, vont tenter de provoquer :
- Pour démontrer que les affaires internes peuvent être encore plus corrompues que certains commissariats locaux.
- Pour prouver que les politiciens peuvent aisément traîner dans le glauque et tolérer, en les utilisant à des fins d’assouvissement vil personnel, des réseaux de prostitution infantiles.
- Pour repérer que les assassinats de celles et ceux qui osent dénoncer et se battre ne constituent qu’une première salve, car le dénigrement de leur corps décédé doit aussi les humilier outre-tombe.
- Pour considérer que malgré les lâchetés et insuffisances, il est possible de cerner une fenêtre ouverte sur le solidaire, le positif, et propice, pourquoi pas, à un amour reconstruit avec Marina.
En lisant le livre de Boris Quercia, vous aurez peut-être une retenue pour une escapade au Chili, pays passionnel, excessif, où l’on réfléchit longtemps en se promenant à pied, comme les méditations de Quinones en Santiago le suggèrent, mais vous aurez surtout le plaisir d’une lecture qualitative en écriture romancée noire, avec une inscription tracée dans ce pays entre Océan et Cordillère, où toute rencontre peut basculer entre l’écoute attentive amicale et la stupéfaction d’une acceptation commentée des années de dictature.
Me promenant aux abords du sinistre stade des tortures, ne m’a-t-on pas dit : « Éric, la torture est un instrument très pédagogique pour ramener l’ordre… ».
Il y a tant de chiens en ce pays justement, où les chiens sauvages sont légion, viennent vous voir avec délicatesse et frénésie, moi qui suis « très chien » et si « peu chat »… Je passais mon temps à les caresser et les nourrir…
Un livre bien mené, édifiant, construit avec une intensité narrative très « Asphaltienne », c’est-à-dire en associant en permanence réflexions sociales, caractères inspirés, urbanité mêlée de chaos et sursaut.
De la belle et vraie littérature !
Éric
Blog Débredinages
Tant de chiens
Boris Quercia
Traduit de l’espagnol (Chili) par Isabel Siklodi, bravo à elle !
21€
Asphalte Éditions