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Amérique Andine

Tant de chiens de Boris Quercia

Amie Lectrice et Ami Lecteur, je vous avais déjà conté les tribulations de Santiago Quinones, lors de la parution du roman « Les rues de Santiago » et je vous avais déclamé que j’avais aimé fortement la tonalité d’écriture, la force émanant des personnages, la volonté de l’auteur de parler de la réalité sociétale sans compromis.

Cet opus s’inscrit parfaitement dans la veine de son précédent.

D’abord il place les villes de Santiago du Chili comme Valparaiso et Vina del Mar comme des personnages à part entière, en tant que Cités où se trament des réalités rudes, insupportables par séquences.

J’ai parcouru ces villes magnifiées en 2008, je pense assez bien les connaître, les retrouver en un roman, permet d’en savourer les parfums, d’en retrouver les odeurs, de s’en remémorer les blessures et fêlures.

Vina del Mar constitue une station balnéaire au bord du Pacifique, huppée et assez kitch, mais qui présente l’attrait de plages avec la présence d’otaries et de pélicans (j’ai testé) offrant un souvenir assez inoubliable, Valparaiso compile un port industriel et une ville haute colorée avec en surplomb la remarquablement décalée Sebastiana, villa de Pablo Neruda, Santiago renferme une multitude de quartiers facilement joignables à pied et à l’histoire terrifiante entre stades de sinistre mémoire et palais présidentiel de La Moneda où un assaut eut lieu aussi un 11 septembre, en 1973.

Jimenez, le compagnon de route et collègue de Quinones, vient de mourir,  lors d’une fusillade nourrie face aux narcotrafiquants. Sa veuve éplorée et un pseudo-message apparemment programmé pour transmission à Quinones sollicitent ce dernier pour que justice lui soit rendue.

Et Quinones comprend vite que Jimenez, qui avait les affaires internes de la police en surveillance, et qui pouvait avoir perçu que son ancien pote décédé avait trempé dans des affaires louches, avait repéré un réseau de personnes accoquinées où pédophilie, prostitution, meurtres et crapuleries en tous genres s’organisaient avec la complicité conjointe lugubre du politique comme de la sécurité civile.

Quinones, dont l’épouse aimée, Marina, s’attache de moins en moins à lui, qui pourrait prendre la tangente aisément rapidement, malgré une proposition de location de chalet aux tarifs du comité social de la police…, est vite approché, lors d’une rencontre au sein d’une association structurée par un avocat des droits civiques, par Yesenia, une ancienne voisine, lorsqu’il était adolescent, qui a été abusée sexuellement en permanence par son beau-père…

Ce roman noir, très bien écrit et traduit, surfe ensuite dans toute son étendue sur plusieurs réalités complexes nécessitant des réactivités appropriées que Quinones ou son collègue Marcelo, prêt à l’appuyer au-delà même de la solidarité professionnelle, vont tenter de provoquer :

  • Pour démontrer que les affaires internes peuvent être encore plus corrompues que certains commissariats locaux.
  • Pour prouver que les politiciens peuvent aisément traîner dans le glauque et tolérer, en les utilisant à des fins d’assouvissement vil personnel, des réseaux de prostitution infantiles.
  • Pour repérer que les assassinats de celles et ceux qui osent dénoncer et se battre ne constituent qu’une première salve, car le dénigrement de leur corps décédé doit aussi les humilier outre-tombe.
  • Pour considérer que malgré les lâchetés et insuffisances, il est possible de cerner une fenêtre ouverte sur le solidaire, le positif, et propice, pourquoi pas, à un amour reconstruit avec Marina.

En lisant le livre de Boris Quercia, vous aurez peut-être une retenue pour une escapade au Chili, pays passionnel, excessif, où l’on réfléchit longtemps en se promenant à pied, comme les méditations de Quinones en Santiago le suggèrent, mais vous aurez surtout le plaisir d’une lecture qualitative en écriture romancée noire, avec une inscription tracée dans ce pays entre Océan et Cordillère, où toute rencontre peut basculer entre l’écoute attentive amicale et la stupéfaction d’une acceptation commentée des années de dictature.

Me promenant aux abords du sinistre stade des tortures, ne m’a-t-on pas dit : « Éric, la torture est un instrument très pédagogique pour ramener l’ordre… ».

Il y a tant de chiens en ce pays justement, où les chiens sauvages sont légion, viennent vous voir avec délicatesse et frénésie, moi qui suis « très chien » et si « peu chat »…  Je passais mon temps à les caresser et les nourrir…

Un livre bien mené, édifiant, construit avec une intensité narrative très « Asphaltienne », c’est-à-dire en associant en permanence réflexions sociales, caractères inspirés, urbanité mêlée de chaos et sursaut.

De la belle et vraie littérature !

Éric

Blog Débredinages

Tant de chiens

Boris Quercia

Traduit de l’espagnol (Chili) par Isabel Siklodi, bravo à elle !

21€

Asphalte Éditions

Le Nouveau Monde (1504), les quatre voyages d’Amerigo Vespucci

Ce livre passionnant reprend les lettres relatives aux voyages de Vespucci, à ses découvertes, envoyées essentiellement de Séville où il résidait en sa qualité de responsable des affrêtements de bateaux pour le Nouveau Monde, en tant que spécialiste des cartographies, ou de Lisbonne où il répondait aux demandes des rois manuélins comme pilote de navire, à la famille Médicis, à Florence, d’où il était originaire.

Son livre appelé Le Nouveau Monde intègre aussi des lettres sur les îles nouvellement découvertes en ses quatre voyages.

Vespucci a vécu, à son corps défendant, des controverses qui l’ont opposé à Christophe Colomb alors qu’ils se respectaient, se considéraient même comme amis, ayant à peu près le même âge, né en 1451 sans certitude pour Colomb à Gênes, né en 1454 de manière certaine pour Vespucci à Florence, Ligure et Toscane se touchant.

Amerigo a connu dans sa jeunesse florentine le géographe Toscanelli dont la célèbre carte du monde fut la référence de Colomb avant son premier voyage.

Il fut aussi présent lors du retour à Barcelone de Colomb, de son premier voyage ; à partir de ce jour de liesse il a entretenu des rapports d’estime avec celui qui fut célébré comme Amiral de la mer Océane.

Amerigo fut contesté par les historiens de périodes ultérieures sur la réalité de ses quatre voyages, mais de nombreux spécialistes garantissent leur authenticité.

Vespucci ne peut en aucun cas se voir accusé de vanité pour avoir trafiqué certains de ses textes pour ravir à Colomb la gloire de la première découverte des terres du continent américain.

Aucune duplicité ne se repérait dans les relations entre les deux navigateurs, qui ne se sont nullement détériorées avec la publication par Vespucci du Nouveau Monde que Colomb ne pouvait pas ne pas avoir lu.

Colomb a même adressé une lettre à Diego, le fils de Vespucci, à la suite d’une visite qu’Amerigo lui avait rendue, montrant ainsi l’intensité et le respect de leurs échanges communs.

Mais Vespucci était au service de Ferdinand d’Aragon qui trouvait que Colomb se voyait bien trop exigeant, qui a fini par s’écarter de lui, lui préférant le plus révérencieux, modeste Vespucci, ce qui entraîna par la suite de nombreux commentaires souvent peu avisés…

Vespucci a intégré un premier voyage en 1497 du fait de ses qualités émérites d’astronome, de cosmographe puisque les bateaux se guidaient à cette époque par les astres, l’observation des étoiles.

Vespucci partit de Cadix puis se rendit aux Canaries avant d’arriver en terre ferme sur les côtes de l’actuel Honduras, qu’il pénétra, comme il se rendit ensuite au Venezuela actuel puisqu’il y décrit des maisons construites dans les arbres ou sur pilotis comme cela se déroulait à Maracaibo à pareille époque.

Le retour se déroula en longeant l’actuelle Virginie, puis reprenant le chemin d’Haïti et des Bermudes.

Vespucci montre une description très précise des iguanes rencontrées qu’il nomme dragons.

Ce premier voyage dura dix-sept mois.

Son second voyage se déroula de mai 1499 à septembre 1500, le navire à bord duquel Vespucci touche le Brésil remonte ses côtes pour atteindre l’embouchure de l’Amazone, puis met le cap à proximité de la Guyane et de l’île actuelle de Curaçao.

Pour le troisième voyage de mai 1501 à septembre 1502, le plus connu et le plus important, commanditée par Manuel Ier du Portugal, il séjourna au Brésil près d’un mois et prolongea sa route vers le sud, atteignant le 50ème degré sud, voguant sans cesse sans raconter de terre ferme jusqu’à Rio de La Plata, en actuel Uruguay, l’amenant à considérer avec justesse la constatation de terres nouvelles ignorées des anciens.

Cette nouvelle image géographique est esquissée, ébauchant la découverte d’un continent distinct qui sera reprise dans la nouvelle planche de l’atlas de Ptolémée, dans celles des prieurés vosgiens (gymnases) dits de Waldseemüller à Saint-Dié, qui pour la première fois, en 1507, mentionnent cette partie entre Brésil et Rio de la Plata, légitimement, terre d’Amerigo, terre d’Americ, première marque retenue de la mention Amérique.

Vespucci se voit obligé de rebrousser chemin en retournant au Portugal car les navires du chef d’expédition qui s’étaient séparés pour scruter de nombreuses terres n’ont pu se rassembler comme prévu.

Un dernier voyage moins renseigné s’est tenu entre juin 1505 et septembre 1506 en direction des Moluques.

Vespucci est nommé premier pilote (« piloto mayor ») chargé d’établir les cartes nautiques destinées aux futures expéditions du Nouveau Monde et il fut le premier à occuper ce poste prestigieux en devenant naturalisé espagnol sur Séville.

Il meurt en 1511, certainement touché par l’épidémie de peste qui s’étend en Espagne en cette même période.

Le « gymnase vosgien », qui a inscrit le nom d’Amerigo en hommage aux terres recensées, précise clairement qu’Amerigo constitue à la fois un découvreur et un homme remarquable, que son nom complète harmonieusement les noms existants des autres parties du monde connu, que ce sont surtout ses écrits qui ont fait le mieux connaître les terres nouvelles aux habitants.

Comme l’a écrit le grand écrivain autrichien Stefan Zweig « ce n’est pas par la volonté d’un être humain que ce nom très mortel a franchi le seuil de l’immortalité, le destin l’a voulu qui a toujours raison. ».

Vespucci souligne la beauté plastique des personnes qu’il rencontre, permettant de donner une image plus flatteuse des « sauvages » en comparaison avec celles transmises par les pères pèlerins qui accompagnaient Colomb.

Il est émerveillé par leurs aptitudes à la course, à la nage, il envie le fait qu’ils soient en permanence libres, agissant comme étant leurs propres maîtres.

Il est plus en retrait sur les mœurs sexuelles sans pudeur ou autocensure, ou sur le vécu permanent en nudité crue.

Il insiste cependant sur le fait que les femmes n’ont pas de seins pendants, y compris après de multiples grossesses.

Il remarque que les femmes sont infériorisées mais qu’elles savent utiliser des artifices pour conquérir les hommes qu’elles convoitent.

Il observe aussi qu’elles peuvent se servir d’arcs agrémentant le mythe des femmes guerrières.

Vespucci fait preuve d’une ouverture d’esprit remarquable, d’une compréhension des coutumes des autres proche des humanismes comme Montaigne.

Vespucci est aussi le premier européen à décrire et analyser l’anthropophagie des Indiens du Nouveau Monde, il reste interdit quand ces derniers s’étonnent que les navires venant d’ailleurs racontent qu’ils ne mangent pas leurs ennemis vaincus…

Vespucci s’intéressait pour ses commanditaires par les richesses et bénéfices des voyages auxquels il a contribué, mais la soif de l’or n’était en aucun cas pour lui une obsession.

Il vous faut lire ce témoignage vivant et documenté sur les côtes d’un continent qui porte son nom dont il a fermement pressenti l’existence, constituant ainsi un texte fondateur par ses précisions fortes naturalistes et cartographiées.

Éric

Blog Débredinages

Le Nouveau Monde (1504)

Les quatre voyages d’Amerigo Vespucci

Traduction (italien florentin), introduction et notes de Jean-Paul Duviols

Chandeigne Éditions

Le phare du bout du monde de Jules Verne

Amie lectrice et Ami lecteur, je vous avoue que je ne pensais pas avoir encore à découvrir un livre de Jules Verne.

Je pensais, sans manque d’humilité, que j’avais tout lu de mon auteur fétiche et admiré, souvent relu même son œuvre.

En me promenant, ce que j’opère souvent, en les étals des bouquinistes de la place Ambroise Courtois de Lyon 8ème, j’ai repéré un livre de la collection de la bibliothèque verte, ma référence d’enfance, avec un titre de Jules Verne qui m’était totalement inconnu.

Je me le suis procuré, pour la modique somme de 2.50 euros, avec la satisfaction de retrouver les délices de mes lectures, en mes dix ans, où je me voyais aventurier, écrivain-voyageur, explorateur.

Je n’ai pas accompli les missions des Indiana Jones contemporains mais j’ai voyagé et je voyage encore et toujours, me targuant de taquiner la plume pour raconter mes promenades et balades dans mes carnets personnels ou en ce même blog…

La lecture du livre m’a été un pur délice.

Tout se passe à l’extrême sud du continent sud-américain, aux abords du détroit de Magellan et du cap Horn.

Les bateaux qui affrontent les récifs, bercés par la proximité de l’océan glacial antarctique, se trouvent nuitamment dans l’obligation de naviguer en quasi aveuglement, les échouages ou dangers étant légion.

L’idée de la république argentine de hisser un phare pour accompagner la navigation est considérée comme un progrès technique majeur, l’assurance d’une sécurisation navale.

L’Argentine en intègre une légitime fierté, les trois gardiens de phare qui se relaieront en permanence pour l’éclairage du détroit et du cap se portent conscients de leur responsabilité, de leur mission fondatrice.

Jules verne sait écrire des histoires qui prennent place dans les réalités de l’Histoire, qui s’enchevêtrent dans la géographie comme dans les méandres psychologiques humains.

L’on découvrira que ses abords de désolation constituent de longue date des repaires de bandits qui attendent l’échouage de bateaux pour les dépouiller sans vergogne.

Quand les gardiens partiront à la chasse au gibier, qu’ils constateront qu’ils ne sont pas les seuls à vivre sur cette lande peu accueillante, ils se méfieront.

Deux des gardiens seront cependant sauvagement assassinés lorsqu’ils découvrirent la présence des voyous pirates, et le seul survivant du phare vendra chèrement sa peau en utilisant les grottes des alentours, se nourrissant avec les provisions qu’il a pu emporter comme d’expédients quotidiens.

Il sait que le bateau militaire de relève ne viendra pas avant trois mois.

Comment à la fois survivre pendant ces trois mois, faire en sorte que les pirates ne jettent pas l’ancre car ils se doivent de répondre devant la justice de leurs méfaits, des meurtres abjects de ses deux infortunés compagnons.

Quand un échouage nouveau apparaîtra, puisque les bandits auront éteint toute référence à la lumière du phare, notre gardien survivant trouvera l’aide d’un « Vendredi » mobilisé aussi pour que vivent la justice et l’assurance de la pérennité du phare.

Jules Verne nous tient en haleine, nous fait vibrer, nous transmet des épisodes où l’on passe des espoirs aux anéantissements.

Mais l’on sait qu’avec Jules Verne la confiance en l’homme pour le progrès des sciences et techniques, comme pour ses idéaux humanistes portés, doit demeurer la référence absolue.

Merci à mon ami bouquiniste pour m’avoir permis de replonger en mes lectures d’enfance, de m’avoir fait découvrir un livre de Verne, pour moi inédit, forcément passionnant.

Éric

Blog Débredinages

Le phare du bout du monde

Jules Verne

Bibliothèque verte

Édition de 1978

2.50 euros chez le bouquiniste des formats de poche de la place Ambroise Courtois de Lyon 8ème, chaque deuxième dimanche de chaque mois

Pablo Neruda : J’avoue que j’ai vécu – Confieso que he vivido

Amie Lectrice et Ami Lecteur, je le sais, je ne serais pas objectif, puisque je vais vous parler d’un de mes auteurs de référence, du poète du XXème siècle qui m’a toujours accompagné et dont j’ai suivi la trace, au sens physique direct du terme, Pablo Neruda, qui fut aussi Prix Nobel de Littérature.

Je ne vais pas parler précisément de sa « poétique », en cette humble chronique, puisqu’il s’agit d’évoquer un opus de Pablo Neruda, paru après sa mort, quelques jours seulement après le funeste coup d’Etat de Pinochet, en septembre 1973, sachant que la junte avait réfuté toutes funérailles officielles qui auraient entraîné une manifestation de masse, en soutien aux libertés publiques, qui furent, par obligation militaire dictatoriale, reportées au début des années quatre vingt dix, au retour de la démocratie, pour qu’enfin Pablo puisse avoir une sépulture digne de ce nom, face au Pacifique, juste à proximité de sa demeure d’Isla Negra, au Chili central.

Cela m’a toujours profondément attristé de savoir que cet artiste accompli et observateur engagé politique avisé avait quitté la terre avec son pays soumis à l’effroi et au suicide d’Allende dans La Moneda.

En 2008, je me suis rendu au Chili, pour pouvoir atteindre un de mes rêves : visiter l’Ile de Pâques.

Cette île magnifiée par le secret et le mythe de ses moais est située à équidistance, dans le Pacifique Sud, de la Polynésie Française et des Côtes Chiliennes, à 3600 km de chaque limite.

Nous sommes restés, les miens et moi, une semaine sur place, dans l’île, logés chez l’habitant, comme il se doit, au plus près des Rapa Nui, et, en amont et en aval de notre retour en France, via le Chili, j’avais obtenu, sans trop d’insistance et je les en remercie, des miens, la possibilité d’aller sur les traces de Neruda, à Santiago, à Valparaiso et à Isla Negra.

Santiago du Chili fut la ville du Neruda étudiant et apprenti poète, vivant de bohème et de sensations, de rencontres inédites, comme celle d’un proche du Ministre des Affaires étrangères qui lui permit d’être consul en Birmanie, alors protectorat Britannique, de démarrer ainsi, par la force des hasards, une carrière de diplomate, qui l’amena ensuite sur Madrid, en pleine palpitation rude et sanglante de la guerre civile, qui lui fit rencontrer Garcia Lorca, avant son exécution par les factieux Franquistes, relation nouée fondatrice pour son œuvre, son style et ses engagements.

Valparaiso, où Neruda s’installa sur les collines, avec sa villa complètement déjantée et folle résolue, sur plusieurs étages, où l’on a à peine la possibilité de se faufiler, qui permet de dominer la Cité colorée, qui s’attache à s’organiser comme un cabinet de curiosités avec des collections de toutes sortes, comme un lieu de travail, de méditation créative.

Valparaiso est une ville mythique, que j’ai eu le bonheur de découvrir, non seulement en parcourant La Sebastiana, la villa de Neruda, mais aussi en me perdant dans ses collines aux murs et maisons peints de couleurs chatoyantes, aux odeurs mélangées du port au trafic maritime considérable, de douceurs délicates de mets incomparables avec poissons à la chair étonnante (mahi-mahi ou pissi), à la présence de son ascenseur hors d’âge, cœur palpitant de la Cité, avec la présence des lions de mer, de pélicans gris qui se laissent bercer par les flots ou l’air marin et se dorent au soleil, en toute plénitude tranquille.

Et Neruda termina sa vie à Isla Negra, au Chili Central, en bord de Pacifique, à environ 100 km au sud de Valparaiso. Cette demeure est exceptionnelle, elle ressemble tellement à Pablo : elle renferme des collections de l’entomologiste distingué qu’il était, des cabinets d’art pavoisant où s’entremêlent des estampes, des esquisses, des œuvres, des dessins achetés et dénichés ci et là, des photographies de ses inspirateurs, et notamment du remarquable poète Walt Whitman, injustement méconnu, des objets de ses voyages et promenades, des clichés d’oiseaux, à satiété et profusion.

« Ahora voy a contarles alguna historia de pajaros », « Maintenant je vais vous raconter une histoire d’oiseaux… », qu’ai-je eu plaisir à lire cette phrase répétée, qui m’embarquait vers Parral, sa grande pluie australe du Pôle sud, qui tombe comme une cataracte…

Neruda voulait surtout retrouver la proximité avec son enfance, aux abords du Chili Austral, déjà baigné par les courants Antarctiques, en cette côte sauvage, imprévisible et déchiquetée d’Isla Negra.

Le livre de Neruda, dont j’ai le plaisir de vous parler, en cette chronique du jour, va de sa naissance à son installation comme diplomate, à Rangoon, et couvre 25 ans à peine.

Il se lit comme sa poésie, à pleine voix, à voix haute, avec des phrases qui sonnent (il faut « gueuler » ses phrases à la manière de Flaubert), qui résonnent et raisonnent ; il associe, en un syncrétisme assumé, des moments de douleurs, de craintes, de peurs, d’émotions à un humour percutant et toujours salvateur.

Neruda a perdu sa Maman en sa première année de vie, il ne l’a jamais connue, mais sa belle-mère l’a choyé, ne s’est jamais comporté comme une marâtre, mais bien comme une Maman réelle et tendre, totalement de substitution, auquel il a toujours rendu fort hommage.

Pablo a vécu dans des terres rudes, balayées par les bourrasques et la pluie incessante, en ces terres de mineurs et de convois ferroviaires de fret où son père était chargé de l’entreposage du ballast, un homme prévenant malgré son côté taiseux, parfois froid et caustique.

Pablo a apprécié la mixité sociale et métissée de son enfance, où des immigrants basques français, voulant échapper à l’enrôlement militaire des trois années obligées françaises ou espagnoles et au trafic de contrebande chanté par Loti dans Ramuncho, des immigrants allemands en quête de nouvelle donne commerciale, des araucans (peuples premiers descendant des précolombiens) vivaient en harmonie, dans le travail et le respect, dans l’ouverture relationnelle et la perception d’une première décennie de vingtième siècle porteuse, loin d’une Europe qui se déchirait entre colonies et gestion des alliances avant la saignée des tranchées.

Pablo aimait par-dessus tout se rendre sur la côte Pacifique, pendant les vacances, pour aller voir les pêcheurs, prendre une barque, sentir les odeurs de poisson et de marée, se promener sur la jetée, lire et rêver.

Pablo participait aux travaux des champs et notamment au battage des grains de céréales et il prenait un cheval pour s’enfoncer dans les forêts assez hostiles, pour faire halte à tout venant, en une maison tenue, une fois, pour son souvenir mémorable, par des Françaises, qui l’accueillirent avec passion quand Pablo leur récita des vers de Baudelaire.

Pablo était bon élève et fut mûr pour aller à Santiago et faire des études, pour devenir journaliste ou un « Monsieur de qualité » selon les attentes paternelles, mais Pablo sut qu’il voulait devenir écrivain, poète et surtout être « célèbre », ce qui pour un jeune homme de 20 ans peut apparaître comme le comble de la fatuité et de la désinvolture, mais qu’il revendiquait, avec les soucis de redistribuer ce qu’il gagnerait, pour un partage auprès des siens, de ceux qui travaillaient notamment durement et chichement en son Chili Austral.

Pagnol, qui n’avait que quelques années de plus que Neruda, avait toujours dit qu’il voulait devenir « riche », et qu’il le serait, et Neruda avait toujours dit qu’il conquerrait la célébrité et il l’atteindra…

Le jeune homme qui va faire ses armes de diplomate n’a connu que des amours de passage et sans passion, il n’a pas encore de conviction politique acérée, si ce n’est qu’il se veut patriote et indépendantiste Chilien, réfutant toute forme de conquête d’autre Etat sur les territoires de ce pays tout en longueur entre Pacifique et Cordillère des Andes, qu’il n’imagine pas une vie sans société juste et partagée, redistributrice.

En ses germes on retrouve déjà ses élans poétiques pour une vie émancipée, pleinement assumée et déployée, toujours soucieuse du plus fragile, et où l’amour et la contemplation du beau transcendent tous les instants.

Ce livre se lit avec une pure jouvence, il peut être qualifié de nectar, tant il est délicat et délicieux, avec sa narration des insectes observés (et collectionnés), sa connaissance encyclopédique des arbres et des fougères, sa capacité à faire ressentir dans les rencontres la nécessité de l’entraide, de la concorde et  surtout de la sublimation du collectif, propice à toutes les conquêtes.

Il fait du bien, il émeut et il caractérise les talents d’un écrivain et poète indépassable.

Je me suis incliné sur sa tombe à Isla Negra, et je sais que Pablo est toujours près de moi, par la force des esprits, et cela apaise.

Lisez et relisez Neruda !

Éric

Blog Débredinages

J’avoue que j’ai vécu – Jeunesse

Confieso que he vivido

Juventud

Pablo Neruda

Folio Bilingue

Belém d’Edyr Augusto

2014 fut l’année consacrée au Brésil, la terre du football, de la mi-juin à la mi-juillet, pour sa coupe du monde.

L’on sait que la construction des stades et le développement des infrastructures attenantes ont été conformes au cahier des charges FIFA, malgré les difficultés et les retards vécus, mais le pays n’a pu malheureusement en tirer les bénéfices ou retours économiques attendus pour sa population autochtone, son commerce de proximité…

Il est important de lire des auteurs Brésiliens, de connaître leurs messages, ce blog vivant notamment des témoignages et inspirations des passeurs de mots, des « élévateurs des champs de connaissance » selon la belle expression de Malraux…

On ressort de la lecture de Belém sonné, matraqué, bouleversé, knock-outé et mobilisé !

Ce livre se lit comme un roman noir, une romance urbaine, aussi comme un signal d’alerte et d’alarme ou de combat !

L’action démarre par la mort à son domicile d’un coiffeur, Johnny Lee,  ou en tous cas dénommé comme tel, connu pour son salon recevant la jet-set, pour son accoutumance à se rendre régulièrement dans les bars branchés et lieux dits « people ».

Gilberto Castro appelé Gil, inspecteur endurant, est décidé à mener une enquête investie et approfondie, par-delà son accoutumance invétérée à la boisson qui lui a fait perdre pied plusieurs fois, qui l’a amené à s’éloigner d’Amélia, son amour repéré cependant indéfectible.

Il commence à solliciter Lola, la dame de maison que Johnny a recueillie alors qu’elle était jeune Maman abandonnée et à interroger les « amies et amis » des virées nocturnes de Johnny : Rai, Selma ou Selminha, Bob, Carlos…

Très vite Gil se rend compte que Johnny s’adonnait à des vices pervers avec de jeunes enfants et notamment avec la fille de Rai, sa filleule, Barbara, que des cassettes visionnées n’offraient aucune ambiguïté…

La découverte d’héroïne dans le sang de Johnny, alors qu’il était cocaïnomane occasionnel mais pas adepte récurrent de drogues dures, l’absence d’une cassette dans le magnétoscope resté allumé et la mort violente de Lola en conduite de son véhicule transforment l’enquête en multiples tiroirs et rebondissements : Rai a-t-elle voulu se venger en apprenant la prédation de Johnny, la disparition précipitée de Leonel, l’ancien amant de Johnny, dont on ne sait ce qu’il est devenu, a-t-elle un lien avec l’affaire criminelle analysée ?

Gil rencontre Selma en son enquête, ne peut résister à son charme flamboyant alors que cette dernière semble s’installer avec Marina après avoir vogué sentimentalement d’une histoire à une autre, entre passions avec garçons et filles…

Rapidement Gil et Selma se retrouvent régulièrement pour des moments partagés fougueux et Gil devient accroc évident à ce charme envoûtant…

Il reste que la mort de Babalu, jeune fille à la beauté étincelante, qui rêvait de devenir une reine de beauté et de concours, ancienne relation de Gil, s’immisce dans l’enquête sur le décès de Johnny et remonte les filets vénéneux d’une organisation économico-criminelle mêlant trafic de drogue, police fédérale corrompue, mafia organisée où la violence caractérisée n’hésite pas à prendre les formes de tortures les plus terrifiantes.

Le collègue de Gil, Bode, ami et conseil de travail et d’enquête, partenaire des matchs de foot pour acclamer les « Lions » et d’une petite bière ou deux à l’occasion, appuie Gil dans sa volonté de recherche de vérité, de démantèlement d’un réseau infiltré responsable à la fois de la mort de Babalu et de ramifications coupables dans l’économie malsaine de Belém.

Bode disparaît et l’enquête devient de plus en plus périlleuse entre les ivresses tapageuses de Gil qui deviennent médiatisées, que sa hiérarchie a de plus en plus de mal à relativiser, entre ses tendresses avec Selma que l’on n’imagine pas uniquement teintées de suavité, entre les soutiens nécessaires d’Amélia qui désire le reconquérir, entre les cris lancinants entredéchirés par des aboiements que l’on entend du bord de mer et de brise, dont un dénommé Mauro semble se délecter…

Ici le livre passe du roman noir âpre et rude au roman urbain témoin direct d’une violence crue, directe, sans concession, qui n’hésite pas à se placer comme une loi intégrée avec la complicité mafieuse d’un cordon corrompu associant représentants des autorités, personnalités installées de la pègre et de la richesse locale, qui souvent s’unissent, se formatent ou se collisionnent.

Les scènes décrites par l’auteur dans l’enfermement d’un entrepôt où toute forme d’humanité a disparu, où la violence incarnée devient jouissive pour le bourreau constituent à la fois une nécessaire réflexion en profondeur sur les racines de la société Brésilienne qui associe musique, enlacements torrides, frénésie sur le sport, mais aussi affrontements sociétaux récurrents et violence magnifiée comme une révérence à l’écriture sublimée, car Edyr Augusto sait parler de l’indicible pour réveiller les consciences, réfuter en combat une réalité urbaine insupportable qui ravage les jeunesses et beautés, qu’elles se placent en Lola, Babalu ou Selma…

Un livre captivant dont on ne ressort pas vraiment indemne mais fondamental pour mieux comprendre les ressorts de la société Brésilienne et de ses démons encore enfouis…

Éric

Blog Débredinages

Belém

Edyr Augusto

Traduit du Portugais (Brésil) avec force et talent par Diniz Galhos

21€

Asphalte Éditions

Tant de chiens de Boris Quercia

Amie Lectrice et Ami Lecteur, je vous avais déjà conté les tribulations de Santiago Quinones, lors de la parution du roman « Les rues de Santiago », je vous avais déclamé que j’avais aimé fortement la tonalité d’écriture, la force émanant des personnages, la volonté de l’auteur de parler de la réalité sociétale sans compromission.

Ce deuxième opus s’inscrit parfaitement dans la veine du premier.

D’abord il place les villes de Santiago du Chili comme Valparaiso et Vina del Mar comme des personnages à part entière, en tant que villes où se trament des réalités rudes, insupportables par séquences.

J’ai parcouru ces villes magnifiées en 2008, je pense assez bien les connaître : les retrouver en un roman, permet d’en savourer les parfums, d’en retrouver les odeurs, de s’en remémorer les blessures et fêlures.

Vina del Mar constitue une station balnéaire au bord du Pacifique, huppée et assez kitch, mais qui présente l’attrait de plages avec la présence d’otaries et de pélicans (j’ai testé) offrant un souvenir assez inoubliable, Valparaiso compile un port industriel et une ville haute colorée avec en surplomb la remarquablement décalée Sebastiana, villa de Pablo Neruda, Santiago renferme une multitude de quartiers facilement joignables à pied, à l’histoire terrifiante entre stades de sinistre mémoire et palais présidentiel de La Moneda où un assaut eut lieu aussi un 11 septembre, en 1973.

Jimenez, le compagnon de route et collègue de Quinones, vient de mourir,  lors d’une fusillade nourrie face aux narcotrafiquants. Sa veuve éplorée et un pseudo-message apparemment programmé pour transmission à Quinones sollicitent ce dernier pour que justice lui soit rendue.

Et Quinones comprend vite que Jimenez, qui avait les affaires internes de la police en surveillance, son ancien pote décédé, avait trempé dans des affaires louches, avait repéré un réseau de personnes accoquinées où pédophilie, prostitution, meurtres et crapuleries en tous genres s’organisaient avec la complicité conjointe lugubre du politique comme de la sécurité civile.

Quinones, dont l’épouse aimée, Marina, s’attache de moins en moins à lui, qui pourrait prendre la tangente aisément rapidement, malgré une proposition de location de chalet aux tarifs du comité social de la police…, est vite approché, lors d’une rencontre au sein d’une association structurée par un avocat des droits civiques, par Yesenia, une ancienne voisine, lorsqu’il était adolescent, qui a été abusée sexuellement en permanence par son beau-père…

Ce roman noir, très bien écrit et traduit, surfe ensuite dans toute son étendue sur plusieurs réalités rudes, dures, nécessitant des réactivités appropriées que Quinones ou son collègue Marcelo, prêt à l’appuyer au-delà même de la solidarité professionnelle, vont tenter de provoquer :

  • Pour démontrer que les affaires internes peuvent être encore plus corrompues que certains commissariats locaux
  • Pour prouver que les politiciens peuvent aisément traîner dans le glauque et tolérer, en les utilisant à des fins d’assouvissement vil personnel, des réseaux de prostitution infantiles
  • Pour repérer que les assassinats de celles et ceux qui osent dénoncer et se battre ne constituent qu’une première salve, car le dénigrement de leur corps décédé doit aussi les humilier outre-tombe
  • Pour considérer que malgré les lâchetés et insuffisances, il est possible de cerner une fenêtre ouverte sur le solidaire et le positif et propice, pourquoi pas, à un amour reconstruit avec Marina

En lisant le livre de Boris, vous aurez peut-être une retenue pour une escapade au Chili, pays passionnel, excessif, où l’on réfléchit longtemps en se promenant à pied, comme les méditations de Quinones en Santiago le suggèrent, mais vous aurez surtout le plaisir d’une lecture qualitative en écriture romancée noire, avec une inscription tracée dans ce pays entre Océan et Cordillère, où toute rencontre peut basculer entre l’écoute attentive amicale et la stupéfaction d’une acceptation commentée des années de dictature.

Me promenant aux abords du sinistre stade des tortures, ne m’a-t-on pas dit : « Éric, la torture est un instrument très pédagogique pour ramener l’ordre… ».

Il y a tant de chiens en ce pays justement, où les chiens sauvages sont légion, viennent vous voir avec délicatesse et frénésie, moi qui suis « très chien » et si « peu chat »…  Je passais mon temps à les caresser et nourrir…

Un livre bien mené, édifiant, construit avec une intensité narrative très « Asphaltienne », c’est-à-dire en associant en permanence réflexions sociales, caractères inspirés et urbanité mêlée de chaos et sursaut.

De la belle et vraie littérature.

Éric

Blog Débredinages

Tant de chiens

Boris Quercia

Traduit de l’espagnol (Chili) par Isabel Siklodi, bravo à elle !

21€

Asphalte Éditions

Un capitaine de quinze ans, de Jules Verne

En cette période estivale de la mi-juillet, où je fus en vacances appréciées, je me suis replongé dans l’un de mes auteurs fétiches, Jules Verne.

Je n’avais plus souvenance de la lecture d’Un capitaine de quinze ans.

Comme à chaque fois, avec cet auteur heureusement reconnu en Pléiade depuis neuf ans, s’associent analyses géographiques et scientifiques très argumentées, reprenant les étendues des connaissances les plus contemporaines et exégètes, drames humains, contemplation désolée des avidités et des lâchetés, suspense de roman noir, étendue flamboyante de personnages attachants, repoussants, inquiétants, pétris de turpitudes comme de courages, aux destins inspirés.

Le capitaine Hull n’est pas satisfait de sa campagne baleinière en terres australes.

Il reprend le chemin de la Californie, en partance de Nouvelle-Zélande, très déçu de n’avoir pu engranger des réserves d’huiles suffisantes pour le commerce de son armateur…

Aucune considération écologique de préservation des cétacés, en ce XIXème siècle, où tous les regards étaient portés sur les potentiels héros qui harponnaient les « monstres marins » pour s’en emparer et récupérer toutes leurs richesses.

La femme de son armateur, Mrs Weldon, et son fils Jack se trouvaient à Auckland, puisque le propriétaire de bateaux baleiniers y avait des affaires en commerce régulier.

Mais Mr Weldon était reparti seul en Californie, car le petit Jack, de santé fragile, avait dû être alité et veillé pendant de nombreuses semaines et ne pouvait pas embarquer.

Quand Mrs Weldon sut qu’un des bateaux de son mari se trouvait en Nouvelle-Zélande, elle considéra qu’il pouvait aisément les transporter, son fils et elle-même, pour les ramener à demeure.

Le capitaine Hull ne pouvait refuser, il réorganisa le baleinier pour que Mrs Weldon et son fils puissent avoir une cabine adaptée pour le long voyage.

La femme et son fils étaient accompagnés d’une nourrice Nan et d’un cousin entomologiste distingué, Benedict, totalement décalé, car seule sa passion lui importe, quels que soient les dangers confrontés ou encourus.

Le cuisinier du baleinier avait démissionné, le capitaine Hull avait engagé, en remplacement pour la cambuse, un taciturne marin, dont les compétences n’avaient pu totalement être reconnues ou éprouvées, appelé Negoro.

Ces éléments présentés, le roman fleuve de Jules Verne s’écoule avec nombre d’incidents, tensions, catastrophes, avec, cependant, toujours l’espoir en tête, la volonté d’aboutir comme conquête permanente.

Je ne vais pas narrer toutes les aventures délivrées en ce roman, car ce serait faire injure à la densité du livre, au plaisir de votre découverte, Amie Lectrice et Ami Lecteur, mais je me permets de vous donner, en touches impressionnistes, quelques données susceptibles d’attirer fortement votre attention ou vous inviter à suivre mes pas, en lecture :

  • La traversée sera semée d’embuches avec une rencontre avec une femelle baleine et son baleineau, que les harponneurs voudront prendre en charge bien imprudemment, en oubliant que la protection maternelle défie tous les dangers…
  • Le sauvetage de naufragés et de leur chien, qui semble déjà connaître bien négativement le cuisinier de remplacement dans le bateau, puisqu’il montre des crocs sévères à son attention et que ce dernier ne semble pas surpris…
  • Le sabotage de la direction du bateau qui, après le passage devant les côtes de l’île de Pâques, aux mystères toujours enfouis, que Jules Verne décrit avec finesse, prend une direction toute autre que celle des côtes américaines, alors que le cap fixé visait bien à se rapprocher du pacifique andin.
  • L’arrivée en échouage sur un endroit où l’on semble repérer une faune bien différente de celles du Pérou ou du Chili…
  • La traque et le kidnapping par des esclavagistes sans vergogne et sans conscience, qui obligent les membres de l’équipage à une marche infernale et dantesque.
  • La capacité de résilience et de survie, magnifiée par la réflexion et le talent d’adaptation du jeune Dick, qui a pris en main la navigation, qui prend aussi le capitanat malgré son jeune âge et son manque d’expérience, et par la force d’un géant généreux, très agile, qui faisait partie des naufragés, qui donnerait sa vie pour remercier ses sauveteurs.

Le livre se lit d’une traite, malgré son épaisseur et la somme qu’il représente, car il unifie les trois traits caractéristiques de l’œuvre de Verne : le sens de la narration et sa mise en exergue par des chapitres à suspense novelliste et journalistique, la concrétisation de personnages hauts en couleur, aventuriers et héros que rien ne semble effrayer, la description minutieuse des terres et espaces traversés, en leurs faunes, réalités géologiques, imagées, voyageuses.

Un livre prenant et captivant, qui permet d’oublier certaines possibles exagérations, mais l’imaginaire est souvent plus porteur que le mièvre réel, n’est-ce pas ?

Éric

Blog Débredinages

Un capitaine de quinze ans

Jules Verne

Le livre de poche, en texte intégral, avec illustrations de l’édition originale Hetzel (dessins de H. Meyer et gravures de Ch Barbant)

7.90€

Mictlan de Sébastien Rutés

Mictlán

Amie Lectrice et Ami Lecteur, ce livre ne vous laissera vraiment pas indifférent, car il décrit les choses avec un réalisme froid, direct, et ne s’embarrasse nullement de pathos ou de modérations…

Il met en perspectives ce qui existe, s’organise, se met en place, sans aucune morale, avec une violence abjecte permanente, car seule la loi du plus fort domine les fonctionnements, aucune échappatoire n’est possible pour celui qui s’y est enferré…

Nous ne savons pas en quel pays nous nous trouvons, mais l’hypothèse d’un pays d’Amérique Centrale ou Latine, où les conquêtes et positionnements sociaux s’intègrent toujours avec le poids des castes, des hiérarchies, avec une violence assumée si habituelle, semble prendre naissance…

Le livre se lit d’une traite, ne permet pas de respirer, on le vit en apnée récurrente, d’autant plus qu’il est écrit avec une ponctuation rare, qui juxtapose des phrases très longues, parfois de plusieurs pages, pour que la lectrice ou le lecteur ne puisse pas se reprendre, pour qu’il s’époumone, en découvrant les descriptifs du narrateur, lui-même conducteur d’un camion très particulier, qui ne peut imaginer s’arrêter un seul instant, en son trajet indéfini, d’une longueur dense…

Le Gros conduit un camion, en binôme avec Le Vieux.

Ce camion renferme des cadavres de personnes mortes, de mort violente, très violente même…

Comme il n’est pas possible que ces personnes puissent être inhumées sans enquête judiciaro-policière, qu’il n’est pas envisageable, non plus, pour les édiles, d’imaginer que des procès s’ouvrent, rien ne vaut le déplacement de ces cadavres dans un camion qui les transportera bien loin, pour qu’ils ne soient pas retrouvés, que le sens de leur disparition conserve son énigme irrésolue…

Gros et Vieux sont payés pour cette « mission », même si Vieux aimerait bien retrouver le cadavre de sa fille, qu’il sait décédée, qu’il a mal aimée cependant – ce qui le mine -, en s’infiltrant dans le coffre de cargaison, et qu’ils ne peuvent, tous deux, s’arrêter, que pour faire le plein d’essence ou pour acheter quelques nourritures.

Mais ces arrêts doivent être rares, limités, très rapides, car le chargement ne doit, en aucun cas, éveiller des soupçons, sinon les commanditaires de Vieux et Gros seraient menacés et les conducteurs alternatifs du camion qui travaillent douze heure de suite, chacun, pendant que l’autre tente de dormir, seraient aussi, bien mal en point, et leur vie plus que fébrile et raccourcie…

Tout au long de l’enchaînement des cent cinquante pages, ce livre prenant, dur, rude, difficile, qui laisse sans répit, sans aucun espoir, où s’amoncellent des violences et tueries, vous vivrez, sous très haute tension, et vous serez le témoin exclusif de :

  • Règlements de compte entre gangs ou castes différenciés, qui observent avec attention le trajet du camion, qui veulent s’en accaparer le chargement pour le moins compliqué, insolite et morbide. Gros et Vieux n’ont qu’une chose à laquelle penser et se référencer : tout faire pour reprendre leur chemin et continuer leur route, coûte que coûte.
  • Rencontres avec un archéologue, particulièrement heureux d’être pris en stop, mais bien désarçonné par les situations de tensions et combats qu’il doit affronter avec Gros et Vieux, qui lui laissent poursuivre son ascension à pied, seul, car il ne lui est plus possible de pénétrer de tels dangers permanents, car le camion est source de convoitise, avec combats en armes fréquents.
  • Coups de téléphone avec les commanditaires, toujours vindicatifs et arrogants, mais que Vieux et Gros savent neutraliser, car la réussite de la survie des édiles répond d’abord du succès de leur propre mission affectée.
  • Finalisations, alors que tous les espaces de passage, entre station-service et contrôles routiers, auront été lieux et moments de sauvageries, de montées vers les sphères des sommets, pour tenter de se mettre en communication avec les forces des esprits, avec le légendaire Mictlan, où les morts et défunts peuvent enfin espérer l’oubli, une sorte de paix…
  • Discussions entre Gros et Vieux qui se scrutent, s’invectivent et s’assomment parfois, mais qui restent compagnons solidaires des infortunes vécues et à subir.
  • Violences qui se succèdent, car aucune règle sociale n’existe en ces territoires où seules résonnent et raisonnent les réalités des profiteurs, des manipulateurs, des capteurs des ressources, où le flingue permet la survie, où il faut tuer avant d’être soi-même tué, où aucune analyse morale ou humaniste ne se fait pressentir, où seul l’horizon de la mort apparaît, avec la volonté de retarder son atteinte et sa jonction, au moins pour quelques instants fugaces où l’on se permet de tenter fébrilement d’exister…

Ce livre est souvent insoutenable, provocant, mais il décrit le quotidien de tellement de zones à risques, sans foi ni loi, de notre Terre, qu’il répond surtout d’une dynamique salvatrice, car à force de témoigner et de décrire les horreurs endurées et vécues, peut-être que l’on chercherait à chasser les fomenteurs de troubles, à tenter de créer une nouvelle harmonie positive, tolérante, à l’écoute de l’autre, sans que la terreur et l’effroi soient les dominantes systématisées.

Je n’ai rien contre le fait de décrire les choses vues et lourdes avec des phrases, en enchaînement et sans point, ce qui magnifie la tension et exacerbe les violences qui se succèdent dans l’opus, mais il est nécessaire de lire ce livre d’une traite, de le lire avec une vraie acuité, car sinon le fil se casse et l’atmosphère de pesanteur indéfectible, d’impossibilité de réchapper à la force méchante acérée, deviendrait moins directe, suggérée ou réflexive.

Éric

Blog Débredinages

Mictlan

Sébastien Rutés

Nrf Gallimard

17€

Equateur d’Antonin Varenne

 

Amie Lectrice et Ami Lecteur, je vous avoue, sans nulle honte, avoir un vrai « faible » pour des lectures qui ravivent les épopées, qui traversent les contrées et qui me donnent envie de parcourir des espaces entremêlés de multiples aventures pittoresques ou improbables.

Pour atteindre cette exigence, il convient aussi d’intégrer des personnages intrépides, aux fêlures réelles, prêts à tout pour construire leur destin ou pour s’inventer.

J’ai retrouvé cet univers dans le livre marquant et très bien écrit d’Antonin Varenne.

Pete Ferguson fut déserteur de la Guerre de Sécession, que je préfère désigner sous son vocable américain de « Civil War », plus direct et clair ; il vient de quitter le ranch où il a été recueilli avec son petit frère, car on lui reproche d’avoir tué le vieux Meeks sous le témoignage, qu’il conteste fermement de Lydia.

Il ne lui est pas aisé de devoir fuir son petit frère, qu’il a toujours protégé, notamment des violences d’un paternel qui s’est suicidé en se pendant, et que Pete n’a pas décroché alors qu’il le pouvait, le regrettant par intermittences seulement…

Il arrive à Lincoln City où l’on propose des terres à ceux qui voudraient coloniser des espaces pour damner le pion aux « sauvages indigènes Indiens », dont on veut clairement parquer les influences dans des réserves où ils seront contrôlés…

Pete n’aime pas les injustices, le fait de tuer des Indiens, même s’il s’estime supérieur à eux, et encore moins de disposer de terres qui n’appartiennent nullement aux Etats fédérés.

Il vole le représentant des terres coloniales et incendie son officine et part avec son mustang « Réunion » pour vivre son aventure de vie.

Il deviendra d’abord chasseur de bisons : il était promis au dépeçage des bêtes pour conserver leurs peaux et fourrures pour les échanges commerciaux, mais il assurera rapidement la participation à la chasse, du fait de la force et de l’amplitude de son cheval comme de son aisance à viser.

Il s’écartera de ce métier quand il tuera un homme qui voulait atteindre à sa vie et auquel il avait donné un coup de poing, pour avoir brutalisé un jeune homme, car Pete peut être violent mais il défendra toujours le plus faible attaqué lâchement par le fort.

Il atteindra les communautés métissées Indiennes et Mexicaines et travaillera à leurs côtés jusqu’à son refus de participer à une vente d’enfants promis à l’esclavage, en fuyant avec une carriole et une jeune femme Mexicaine, qu’il n’hésite pas à frapper quand elle lui désobéit ou manifeste une indépendance, et qui lui volera son argent et lui décochera une balle dans le corps, qui l’immobilisera en blessure rude pendant un certain temps…

Il ira plus loin et, recherché pour avoir délaissé le clan des communautés Métisses et Mexicaines, et surtout pour n’avoir pas respecté ses missions assignées, il est approché par une personne assez vile et chasseuse de primes et n’hésite pas à tuer la personne désignée, qu’il avait connue dans son aventure Mexicaine et qui l’avait aidé pourtant…

Et comme un tueur à gages, il reçoit, en échange de son forfait, la possibilité de rejoindre un homme de navigation, en partance pour le Guatemala.

Il n’aime pas voguer sur les flots, et n’a pas le pied marin, mais il sait s’adapter et il sera compagnon de route d’un poète et de ses sbires, volontaires pour renverser le pouvoir gouvernemental et pour organiser une révolution.

Mais certain que l’Indienne Guatémaltèque, à qui il doit donner un pistolet contre argent, va mourir dans cette entreprise, il change les plans, danse avec elle, se voit sévèrement rabroué par les organisateurs du bal, et il part, avec elle, sur les traces de son village et de sa communauté, poursuivi par ses anciens « companieros » qui l’affectent comme un traître à la cause.

Il chemine, rencontre un prêtre devenu un adepte du syncrétisme et qui accompagne et soutient les Indiens locaux, parcourt les sentiers difficiles, réussit à créer les désordres et dissensions lors d’une « cérémonie » organisée pour mettre à mort des amis de son Indienne sauvée, Maria, et repart, par les flots, avec elle, jusqu’à atteindre la Guyane et une étonnante Cité exclusivement réservée aux femmes, que les hommes ne peuvent approcher sauf pour apporter un concours de travail ou pour faire en sorte que le village soit amélioré en sa condition.

Si un homme veut épouser une femme de cette Cité, il doit en reconnaître les règles et ne jamais se sentir patriarche, mais bien au contraire, se placer à son service.

Maria et Pete deviennent amants, finissent par s’apprécier par delà leurs différences et leurs limites définies en leur face à face contradictoire et tendu souvent, apprennent leurs langues mutuelles et décident de donner sens à leur vie, en accomplissant une prophétie qu’avait entendue et faite sienne, Pete : se rendre en l’Equateur, endroit mythique où tout serait possible…

Pete se voit réaliser un tatouage protéiforme, symbolisant sa racine qui part de la plante de ses pieds pour atteindre son cou et résumant ses errances, ses partances et le marquage des personnes qui l’ont forgé, et auxquels il pense, à savoir son frère Oliver et la petite Aileen, fille des propriétaires du ranch qui l’avait recueilli.

Pete et Maria atteindront l’équateur, dans le Brésil de l’Amazone, mais les espoirs enfouis ne correspondent pas aux réalités des vécus, et les déchéances physiques les menacent en ces contrées hostiles qui ravagent leur peu de santé restante.

Mais Maria sait que Pete sait écrire, et qu’il écrit régulièrement les lettres qu’il pourrait recevoir de celles et ceux qu’il a fuis, en espérant les revoir, avec une vie de frénésie à raconter.

Maria tente d’écrire à Oliver, comme une bouteille à la mer…

Ce livre se lit d’une traite et il est magnifié :

  • par sa capacité à se placer comme un roman noir, un roman d’aventures et un roman de destinées,
  • par sa coloration de personnages à la fois touchants et émouvants et cumulant aussi des affections et des pensées sans foi ni loi, où la force et la violence s’intègrent en récurrence,
  • par la promenade dans l’Amérique du XIXème siècle, sauvage, coloniale, sans scrupules, impitoyable contre les Indiens et dans l’Amérique Centrale et du Sud, entre échappées dantesques et fanfaronnades,
  • par sa qualité littéraire stylisée et sa propension à faire de Pete un homme affaibli, fataliste, mal en âme, mais aussi conquérant, indépendant, assumant toutes ses tensions et violences, et amoureux.

Voilà un bel et beau livre, comme je les affectionne, et qui m’invite à découvrir l’œuvre complète de l’auteur, que j’espère bien croiser lors d’un prochain Quais du Polar, puisque cette année, cela ne fut pas possible, en nos réalités rudes sanitaires…

 

Eric 

Blog Débredinages

 

Equateur

Antonin Varenne

Le livre de poche

7, 90€

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