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Amie Lectrice et Ami Lecteur, j’avais été fortement bouleversé par Au revoir là-haut, le roman « Goncourisé », en 2013, car il alliait références historiques post Grande-Guerre, personnages sans concession au sortir des charniers et analyse sociétale de la France de la chambre bleu-horizon, qui glorifiait les sacrifices des monceaux de soldats morts au combat, en réfutant toute réflexion sur les pseudo-stratégies militaires employées, comme sur l’absence de considération reconnue aux mutilés et gueules cassées, qui rappelaient trop la noirceur des combats…

Pierre Lemaître avait réussi un roman très noir, inscrit dans l’histoire du vécu, avec conviction et écriture dense et tenace, ingrédients que je recherche dans mes lectures et que je vénère quand le cocktail se déguste avec une vraie créativité inventive, à l’image du « pianocktail » de Colin, dans L’écume des jours.

L’auteur avait aussi, durant plus d’une décennie en amont, écrit des romans noirs bien ficelés avec des protagonistes récurrents, toujours en relation critique avec nos réalités, nos insuffisances et petites lâchetés ordinaires, avec une écriture toujours recherchée, efficace, tonique et ménageant de vrais effets de suspense.

A la sortie de Trois jours et une vie, livre paru au printemps passé, je retrouve avec plaisir les principes conducteurs de l’auteur : relation avec le réel, pesanteurs et tensions intégrés par récurrence au sein des personnages, difficultés à faire des choix et à décider dans leurs parcours de vie au milieu des dialogues et communications plus ou moins factices, mais je ne peux me départir d’une impression fugace, puis plus ancrée, de facilité ou d’inachèvement, comme si l’auteur avait été sensibilisé à « produire » ce roman, sans lui donner un coup de patte personnel assurant qu’il soit vraiment ciselé à sa manière.

On se situe à la fin décembre 1999, il y a déjà dix-sept ans, en pleine forte tempête abattue notamment sur la France.

Antoine, à peine au début de l’adolescence, aime beaucoup le chien des voisins qui lui rend bien cette affection, en le suivant régulièrement en forêt, où il s’adonne à des marches un brin aventurières et où il a même réussi à construire une cabane de Robinson de forte invention.

Le tout jeune Rémi a fait de son aîné Antoine une sorte de héros, et il lui rend fréquemment visite en ses cachettes, en admirant ses capacités d’explorateur comme de bâtisseur.

Le jour où le chien des voisins semble en difficulté physique, le père de la famille n’hésite pas à le tuer et surtout à le laisser sur un tas de gravats, comme s’il devait mettre fin à ses jours en exécution et en le considérant comme immondice.

Antoine, révolté, ne peut admettre une telle chose et court se cacher dans la forêt.

Rejoint par Rémi, il ne peut réprimer sa violence intérieure et lui assène un coup de planche qui assomme l’enfant et le condamne sur le champ.

Antoine cache le petit cadavre dans un trou laissé par un arbre déraciné et la parabole de l’auteur, qui revient en boucle, où la petite main du malheureux Rémi cherche à agripper la terre quand le corps tombe et qui semble dire « au revoir » à celui qui fut son ami mais qu’il a comparé à son funeste père, en lui prodiguant ce qu’il lui réservait dans ses songes, reste fortement ancrée, en la lecture, comme une référence rude et déchirante.

Antoine revient chez lui, haletant, en perdant une montre qu’il avait longtemps convoitée et que sa mère, qui travaille sur les marchés et qui tente toujours de joindre les deux bouts, avait accepté de lui offrir, après de nombreuses tergiversations, et il s’allonge, hagard, en sa chambre.

Bien évidemment, le petit village qui ne vit que par les évolutions économiques plus ou moins enviables d’une fabrique de jouets en bois, et dont le patron est aussi le maire de la commune, se place en réel émoi, quand les recherches pour retrouver Rémi s’organisent avec battues et interpellations ; comme on savait qu’Antoine se trouvait souvent en compagnie de Rémi, il fait l’objet d’interrogatoires qu’il se concentre à contrôler, sans pour cela que les remords sur son geste ne l’envahissent pas en permanence…

La tempête écarte la possibilité de fouiller dans la forêt et le petit Rémi reste disparu inquiétant.

L’auteur développe ensuite une organisation romancière en « flash back », entre évolutions du futur d’Antoine et retours sur cette terrible journée où sa haine du père de Rémi, cette injustice du sort réservé au chien, se sont transformées en violence sans réserve contre le jeune enfant.

Antoine va faire de brillantes études, va devenir médecin, devenant par là-même une référence pour le village et une fierté pour sa mère, même si leurs relations conserveront leur platitude et leurs silences et que leurs rencontres, de plus en plus espacées, s’avèreront des obligations contraignantes pour le fils, qui désire partir et penser à autre chose, et notamment avec un envol pour l’humanitaire.

Antoine rencontre une jeune femme amoureuse, libre et libérée, et malgré des crises fréquentes, s’imagine bien vivre avec elle.

Mais lors d’un de ses passages en son village, il retrouve Emilie, qui était la plus jolie du collège, qu’il convoitait sans imaginer arriver à ses fins ni même croiser son regard et, séduit, il l’enlace et leurs corps répondent avec effusion aux caresses liminaires.

Emilie est enceinte et, vivant en une famille traditionnaliste, veut épouser Antoine, qui refuse, lui demande d’avorter.

Le père d’Emilie menace Antoine de porter plainte, ce dernier précise que la potentielle paternité n’est pas assurée… et le père d’Emilie indique à Antoine qu’il demandera un test ADN, réalité qui replonge Antoine, avec marasme, quelques années plus tôt.., d’autant plus fortement qu’un complexe va ouvrir en l’ancienne forêt où il s’évadait et que les restes de Rémi viennent d’être découverts, au hasard, si l’on peut dire, du chantier…

Antoine choisira t’il  la paix et la vie avec Emilie, en acceptant de devenir médecin de province et de village, en prenant la succession de celui qui l’a toujours apprécié et qui a compris depuis longtemps qu’il renfermait un secret… ou affrontera t-il son destin, sa responsabilité, comme sa volonté de partir aider les gens de la planète, sans médecin de proximité ?

J’ai trouvé le livre un peu trop lisse, un peu trop prévisible en sa conclusion, mais peut-être que l’auteur s’est dit que notre réalité sociétale était elle-même lisse, insuffisante, programmée, complice des compromissions et que son récit devait suivre ces traces là…

Il reste que ce manque de mordant, de fantaisie dirais-je – y compris dans la méchanceté de certains protagonistes de l’histoire – contribue à structurer une intrigue un peu plate et donc avec un retrait et une retenue qui m’ont un peu désolé ; mais appréciant l’auteur avec ferveur, je suis certain qu’il n’a pas sacrifié au mode ambiant, où tout doit être décodé et décidé et où rien ne faiblit face aux données fixées, mais qu’il a simplement voulu démontrer que chacun vit de ses insuffisances, fêlures, choix plus ou moins acceptés et compromis « avalés ».

Et je dois bien reconnaître que je ne me placerai jamais au dessus de cette litanie, puisque la vie est faite de choix, mais aussi d’acceptations, en espérant que les-mes choix prendront le pas en majorité sur le poids de la balance…

Eric

Blog Débredinages

Trois jours et une vie

Pierre Lemaître

Albin Michel

19,80€

Photo : angersmag copyright