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Hommage !

Promenade à Cessey-sur-Tille à l’invitation des Éditions Mutine

Anne-Catherine Blanc à Cessey-sur-Tille

Amie Lectrice, Ami Lecteur, vous connaissez mon intérêt porté depuis plusieurs années sur le travail développé, investi par les Éditions Mutine.

Cette maison ancrée en son territoire bourguignon, mais totalement ouverte à l’ensemble des créativités qui dépassent les strates régionales, s’est donnée comme mission de faire vivre l’éclosion d’auteures et auteurs qui ne se placent pas en sommet des ventes et communications des publicistes, qui démontrent cependant de réels talents d’écriture, de raconteurs-passeurs d’histoire, qui parsèment dans leurs récits des « invitations aux saveurs de vie », comme on dit joliment au Québec.

J’avais connu cette maison d’édition par le biais de mon amie Anne-Catherine Blanc, que j’avais rencontrée la première fois pour Quais du Polar à Lyon en 2014, dont les inspirations multiformes, l’écriture toujours ciselée, aiguisée, la profondeur des réflexions sociétales pénétrant en récurrence sa narration m’avaient amené à lire ses œuvres complètes, avec quelques opus ces dernières années parus chez Mutine justement.

Son allant et nos relations souvent épistolaires via un réseau social dit de « vieux », Facebook pour ne pas le nommer, m’ont permis de découvrir l’univers poétisé, onirique fréquemment, surtout l’écriture soignée, comme une dentelière sur son ouvrage, d’Isabelle Mutin, qui de livre en livre, tous parus chez Mutine, construit des réalités qui m’ont enivré, transporté par la force de ses mots, la relation à ses personnages entre désirs, toxicités, envies d’ailleurs et désespérance.

Œuvres d’Isabelle Mutin

J’ai aussi lu les œuvres complètes d’Isabelle avec un vif intérêt porté sur sa poésie qui renferme des liens à multiples ressorts, qui font que quand on lit le recueil une première fois, on a toujours envie d’y repuiser pour découvrir d’autres faisceaux.

J’ai pu rencontrer, une première fois, à Dijon, Isabelle, en compagnie de Sylvain Dubois, dont j’ai lu le livre édité chez Mutine avec une forte passion, que je communique souvent autour de moi, car il associe forte inventivité, connaissances historiques appuyées, narration à tiroirs entre moments de fougue et de désolation. 

Sylvain Dubois

Anne-Catherine avait connu une dédicace à Montélimar ses années passées et nos retrouvailles personnelles n’avaient pu se concrétiser du fait d’un trajet avorté avec mon automobile à l’impact rocambolesque…

Quand elle m’avait fait part de sa venue à Cessey-sur-Tille, j’avais assuré ma présence pour nous revoir, enfin, et elle a fait le lien avec Marie-Thérèse Mutin, la conceptrice fondatrice de la maison d’édition qui m’a associé au déjeuner précédant les rencontres littéraires dites du troisième type qu’elle organise chaque année.

Je remercie chaleureusement Marie-Thérèse pour son accueil, ce partage de repas fut pour moi un vrai bonheur de rencontres.

J’ai donc bien évidemment participé aux rencontres qui se déroulaient tout l’après-midi de ce samedi 25 novembre, ce qui m’a permis de saluer Isabelle Mutin, de pouvoir lui redire toute l’estime que je portais à son travail, de découvrir le nouvel opus d’Anne-Catherine que je lis actuellement, dont je parlerai bientôt en ce blog, de repérer de nouveaux auteurs par des lectures que je n’avais pas en mon catalogue: notamment Dominique Beau qui part de son métier de médecin pour l’évoquer aussi en miroir de la société, Yann Tanguy auteur d’une uchronie sur Louis XVI.

J’ai particulièrement apprécié l’interview croisée entre Anne-Catherine Blanc pour son nouvel opus Griffes de lune et Laurent Vignat pour son livre Des lignes et des liens, racontant (pour ce dernier) en narration entremêlant vécu et fiction son travail d’animateur-formateur en ateliers d’écriture et de professeur de lettres.

Interview croisée réussie entre Anne-Catherine Blanc et Laurent Vignat

J’ai acheté le dernier opus d’Anne-Catherine et un livre dénommé Frénésie esthétique de Stéphan Turek, sur les conseils avisés d’Isabelle.

Je me permettrai d’acquérir aussi le nouveau livre autoédité de Sylvain Dubois, j’approfondirai régulièrement ma connaissance du catalogue de Mutine avec bonheur insatiable.

Je tiens aussi à saluer le travail de Philippe Cadet qui présentait dans la salle polyvalente plusieurs de ses œuvres de travail de plasticien.

Ces œuvres expriment une forte sensibilité, au travers des libertés et arabesques de chevaux très colorés, entre les palettes flamboyantes d’un Gauguin et celles centrées sur les lumières des intérieurs d’un Chagall, elles touchent fortement, l’une d’entre elles, sous un fond bleu marine avec un cheval blanc en incrustation poétisée, m’a particulièrement ému.

Philippe Cadet, plasticien, en son exposition à la salle polyvalente de Cessey-sur-Tille

Je remercie Marie-Thérèse pour la chaleur de l’accueil, pour le travail émérite réalisé qui se perpétue, Isabelle pour son talent inspiré, Anne-Catherine pour sa capacité à parler du sociétal avec une plume littéraire fine, Sylvain pour ses imaginaires, son ton décapant sans concession, Philippe pour ses fortes traverses, comme on dit à Lyon (capacités à exprimer la force et le beau au moyen d’expressions picturales), ce que de trop rares artistes arrivent à magnifier.

Cette journée me fut un vrai plaisir, je vous invite à suivre mes pas, à vous rendre sur le site des Éditions Mutine immédiatement : http://editions-mutine.over-blog.com/

Éric

Blog Débredinages

Le voyage de Jeanne d’Anne-Catherine Blanc

Amie Lectrice, Ami Lecteur, je vous invite ardemment à suivre mes pas en la lecture passionnelle de cet opus profondément ciselé, puisé historiquement en des recherches minutieuses.

Jeanne Barret, dont je connaissais l’existence et l’identité, m’était apparue en mes souvenirs cumulés de lecture comme une âme amoureuse, partie autour du Monde pour ne pas quitter celui dont elle ne pouvait se détacher, vivant en cachette leur relation que ne pouvait arrêter le vent d’une circumnavigation scientifique…

L’auteure m’a permis de bien recadrer mes informations fallacieuses, erronées.

Jeanne s’est élevée auprès de Philibert, scientifique botaniste, qui lui a permis d’apprendre à lire, à analyser les différentes espèces de plantes, à les classifier rigoureusement, elle est devenue son amante, mais le gentilhomme Commerson ne pouvait imaginer prendre pour femme une personne de basse lignée.

Jeanne devrait se contenter de devenir son assistante, sa secrétaire, surtout d’accomplir tous les rites de sa servante domestique, y compris celui du potentiel passage en couche.

Quand Philibert est amené à rejoindre l’Étoile, le navire ravitailleur de La Boudeuse, affrétée par Bougainville, Jeanne le suit, sachant que son maître n’imaginait vraiment pas effectuer le voyage au long cours sans sa « bête de somme » comme il l’appelle avec une condescendance qui se lie assez fortement au mépris de classe.

Jeanne ne peut embarquer, car aucune femme n’est admise à bord, alors elle devient Jeannot, serre fortement son corset par des bandages rudes pour qu’aucune poitrine ne puisse apparaître en vue des matelots.

Place pour le grand large en direction des Canaries puis des côtes sud-américaines.

Les bateaux nécessitent des réparations assez fréquentes, les coques prennent l’eau, des colmatages s’avèrent nécessaires alors que les escales se font rares.

Jeanne a le bonheur de pouvoir découvrir de nouvelles fleurs, plantes qu’elle récoltera avec application pour l’herbier de son maître en annotant, organisant les informations, avec les soucis d’une vraie scientifique, sachant aussi dessiner de mémoire avec précision tous les éléments récoltés, repérés.

Il reste qu’elle ressent qu’elle est fortement observée, que son maître se plaint en permanence de ses vicissitudes de santé, considérant que sa condition plus noble justifie le fait que l’on puisse être aux petits soins pour lui, car une paysanne comme Jeanne se repère nécessairement génétiquement comme capable d’affronter toutes les contraintes d’une vie difficile, sa robustesse faisant partie des transmissions de ses aïeux…

Les semaines d’escales entre Uruguay et Rio de la Plata lui procurent un enchantement, qui sera conservé en sa mémoire alors qu’elle est condamnée à dormir, tout du moins tenter de faire un petit somme nocturne, en fond de cale, avec les matelots, car dormir dans la cabine de son maître aurait été perçu comme un mal potentiellement homosexuel absolu, condamné par bien des diatribes divines.

Jeanne tente de se protéger avec ses pistolets, essaie bravement de se faire respecter malgré sa voix fluette, sa constitution plus frêle, elle y parvient souvent sans pour cela trouver la réparation d’un sommeil adapté.

Elle essaie de prendre l’air du pont dès qu’elle en a l’occasion, y compris surtout en nuitée, car la communion aux astres, aux étoiles, devient sa relation la plus apaisée en une navigation qui s’étend, qui devient souvent difficile par des mers tempêtueuses, des relations avec les matelots, parfois tendues, surtout lorsqu’on se livre à des beuveries salaces, violentes sous couvert de festivités de passage d’équateur.

Elle ne pourra pas faire escale à Tahiti car elle devient repérée en sa condition de femme, elle le regrette amèrement, se concentre cependant en son travail de recollement d’informations, de découvertes nouvelles botaniques, même si elle se morfond, se livre parfois à des penchants mortifères.

Lors d’une escale à proximité de la Nouvelle Guinée, elle se voit victime d’un viol collectif, elle souffre le martyre dans sa chair douloureusement meurtrie, son âme vague aux pensées suicidaires.

Elle saigne abondamment, tout en faisant ce qu’il faut pour que le crime commis par des hommes funestes, misérables, ne façonnent pas son corps intérieur avec une autre forme d’absolue répugnance…

Elle arrivera cependant avec courage, constance à faire face à ses agresseurs quand elle croisera leurs regards, mais aucune personne que ce soit son maître ou Bougainville ne viendra à son appui ou secours.

Pire elle devra dire devant Bougainville que c’est elle seule qui aurait manigancé sa venue à bord, à l’insu de Commerson, ce que le chef d’expédition prendra comme argumentaire, sans aller plus loin, préférant l’inconvenance ou l’incertitude au scandale potentiel.

Jeanne trouvera des moments de plaisir, de relations intenses avec les seules femmes qu’elle rencontrera dans des promenades bucoliques  à Java, en échangeant avec ces personnes dont elle ne comprend pas la langue, mais qu’elle identifie comme ses égales, puisqu’elles se trouvent aussi serviles, dominées, mais qu’elles veulent démontrer par-dessus tout la richesse de leurs sentiments, la pureté de leurs âmes, leur soif d’exister.

Jeanne terminera son parcours exceptionnel à l’Isle de France, actuelle île Maurice, où elle apportera, comme de coutume insatiable, tous ses appuis à Commerson dont la santé chancelle, où elle tiendra, après la mort de son maître, un commerce-estaminet avant de se marier puis de revenir en France quelques années plus tard, lestée d’un petit pécule qu’elle a elle-même structuré par toutes ses dynamiques incessantes et efforts cumulés.

Elle apprendra en venant en France que son enfant, né de sa liaison avant voyage, placé en nourrice, avec Commerson, est décédé, elle deviendra rétributaire d’une pension royale pour ses mérites exceptionnelles suite à une intervention de Bougainville, réputé plutôt positif, juste, organisateur pacifié en ses missions par notre héroïne.

Anne-Catherine Blanc associe écriture de lettres à la veine du XVIIIème siècle, avec un phrasé de personne lettrée, qui sait s’exprimer, exposer ses sentiments, qui camoufle en permanence ses carnets et écrits de bord, de peur que Philibert ne découvre qu’une femme à bord puisse penser par elle-même, tenir un journal de sa propre initiative.

La lecture des lettres suit pas à pas le voyage de Jeanne, met en exergue ses envies, ses doutes, ses découvertes, ses tensions, ses blessures, ses angoisses, ses rages.

Anne-Catherine Blanc juxtapose à la fin des lettres, qui marque l’arrivée du bateau à son port d’attache final, en Océan Indien, ses recherches documentées sur la vie de Jeanne au-delà des moments exceptionnels de vécu intense et rude à bord, elle démontre qu’elle a été une femme qui a toujours voulu servir en loyauté sans devenir servante, se placer en indépendance sans pour cela réfuter les convenances, obligations de sa condition dite de basse extraction doublée de celle de femme.

La préface de Titouan Lamazou met en perspective le travail émérite d’Anne-Catherine pour écrire un roman historicisé pétri d’humanités, au plus proche des sentiments déployés par Jeanne en ses vécus recensés, très alerte sur sa vie douloureuse, contrainte, mais aussi pétrie d’imaginaires, d’immensités, de conquêtes d’absolus de cieux, mers, vents.

Je vous invite plus que fortement à lire ce livre très élégant, tout à fait lié à l’élégance récurrente de Jeanne en son parcours de vie, en ses relations aux autres, en ses convictions pour associer combativité, ardeur, mais aussi reconnaissance, y compris par-delà les fortes injustices endurées, à ceux qui l’ont formée.

Merci Anne-Catherine pour cette élégance incarnée, cette faculté à dénicher les humanités en toutes leurs acceptions, y compris lorsque les douleurs les plus vivaces apparaissent…

Merci pour ce tableau fidèle d’une femme de qualité, d’une femme haute en maîtrise, d’une femme digne d’honorabilités comme d’honneurs.

Éric

Blog Débredinages

Le voyage de Jeanne

Anne-Catherine Blanc

Préface de Titouan Lamazou

Éditions des instants – 19 €

Hommage admiratif à Ernest-Pignon-Ernest !

Amie lectrice et ami lecteur, je suis un inconditionnel passionné d’Ernest-Pignon-Ernest dont je détiens une lithographie signée de 1986 de sa série Rimbaud-Regards.

Vous pouvez en ce moment redécouvrir l’artiste en une superbe exposition, que je viens de visiter, à Brioude, au centre d’art dit Le Doyenné, mis en perspectives et accrochages par l’élégant Jean-Louis Prat, bien regretté commissaire d’exposition de la fondation Maeght de Saint-Paul de Vence.

Ernest-Pignon-Ernest se repère comme un véritable pionnier, initiateur de l’art urbain, qui installe ses dessins au fusain, sur papier marouflé, dans les rues depuis les années 70.

Engagé socialement il développe un art qui cherche à toucher, bousculer les mentalités, à ouvrir les réflexions sur la réalité du monde, malgré son obscurité profonde récurrente.

Dans les années 70, avec ses premières œuvres, il dénonce l’apartheid en Afrique du Sud, la dictature instaurée au Chili, dont l’on commémore l’acte funeste il y a cinquante ans, jour pour jour.

Il permet aux cris, aux paroles lourdes de sortir de l’oubli, de s’extraire du silence par l’art de rue.

L’artiste dénonce entre-autre chose, en 1974, une décision du conseil municipal de sa ville, Nice, dirigée par le bien contestable Jacques Médecin, celle d’un jumelage avec la ville du Cap en Afrique du Sud, alors capitale du racisme institutionnalisé.

Ernest Pignon-Ernest a collé dans Nice des centaines d’images d’une famille noire parquée derrière des barbelés.

Ses croquis, ses dessins, ses pochoirs, ses collages, ses créations cherchent à faire réagir le spectateur, le perturber face à la réalité rude subie par tant de personnes en notre monde troublé.

L’artiste s’est engagé fortement au côté du MLF pour dénoncer la campagne réactionnaire contre l’avortement dont le projet de loi était alors débattu, soutenu à l’Assemblée nationale par Simone Veil en 1975.

Ernest Pignon-Ernest avait alors retourner le slogan « l’avortement tue » par « oui l’avortement tue, mais d’abord des femmes ! » en livrant dans la rue l’image d’un corps de femme nue dont la mise en scène s’approchait de la terrible réalité lors d’avortement clandestin.

Lui qui admire Picasso, Le Greco ou Bacon, s’était installé à 24 ans, en 1966, dans un petit atelier dans le Vaucluse avec le projet de réaliser des toiles monumentales, à l’instar de ses maîtres.

Ses représentations humaines grandeurs nature sont réalisées au fusain, à la pierre noire, à l’aide de gommes crantées de différentes épaisseurs, ce qui amplifie, façonne les ombres.

Ernest Pignon-Ernest les reproduit en sérigraphie, les colle sur les murs des villes avec brosses et colles d’affichage comme pour des messages militants, tout autour du monde.

L’artiste précise qu’il souhaite que ses œuvres s’inscrivent dans la rue, qu’elles en fassent partie.

Si ces œuvres sont éphémères, vouées à disparaître avec l’usure du temps, Ernest Pignon-Ernest en garde tous les croquis, travaux préparatoires.

A chaque fois, Ernest Pignon-Ernest choisit un lieu, un pochoir qui s’expriment d’eux-mêmes, comme ces dessins sur les murs de la prison Saint-Paul à Lyon, pour se remémorer les exécutions de résistants, ou sur les escaliers de Montmartre pour se rappeler la force des Communards anéantis.

Selon l’artiste la relation entre œuvre et lieu forme le fruit d’une réflexion qui veut prendre en compte tout ce qui ne se voit pas d’emblée mais qui est là, l’espace, la lumière, la texture du mur. C’est, en même temps, associer tout ce qui appartient à l’histoire, à la mémoire, aux traces.

Une manière pour lui de faire parler les murs, de leur faire raviver l’histoire d’événements vécus pour qu’ils ne tombent pas dans l’oubli.

« Quand j’interviens dans un lieu, j’inscris dans le lieu un signe d’humanité », précise-t-il.

En 2015, il rend hommage à Pasolini avec une mise en abyme du poète et réalisateur italien très controversé à l’époque, assassiné en 1975.

Il dessine son portrait, tenant dans ses bras son propre corps, à la manière d’une pietà.

Le collage est présent sur les murs des lieux mêmes où Pasolini a vécu, à Rome, près de la plage où il est mort à Ostie.

Certaines de ses œuvres, devenues intemporelles, cultes, sont désormais des icônes.

A l’image de ce portrait de Rimbaud réalisé en 1978, reproduit à des milliers d’exemplaires, qui s’est collé sur les murs de nombreuses villes et pas seulement à Paris ou à Charleville-Mézières.

Mais finalement, qui est le véritable spectateur de ces collages ?

N’est-ce pas Rimbaud lui-même qui nous regarde !

Et comme le dit Ernest-Pignon-Ernest, Rimbaud ne pourra jamais être statufié, il ne peut qu’être interprété en collages éphémères, comme « l’homme à la semelle de vent » décrit par Verlaine, pétri d’aventures, engagé dans des actions commerciales parfois imprévisibles, doté de forces endurantes mobilisant toutes ses fougues, comme il a pénétré ses poèmes avec la frénésie de l’âme, en y plaçant toutes ses tripes.

Le plus bel hommage à Rimbaud vient de la réinterprétation de la photographie de Carjat par Ernest-Pignon-Ernest.

L’exposition géniale de Brioude, où vous pouvez vous rendre encore jusqu’à la mi-octobre, vous permettra de retrouver les forces inspirantes de l’artiste à Naples sur les traces du Caravage, à Rome et Ostie en mémoire à Pasolini, pour l’appui à Mahmoud Darwich en Palestine, dans le sillage de Rimbaud immortel, et je vous laisse découvrir son travail remarquable avec les yoyos dédiés aux prisonniers des maisons d’arrêt surpeuplées, indignes de notre fonctionnement démocratique.

Éric

Blog Débredinages

Pierre Soulages – Paroles d’artiste

Amie lectrice, ami lecteur, je ne m’étais encore jamais rendu au Musée Soulages de Rodez, ouvert en 2014, doté d’une collection majeure par donation de l’artiste et de son épouse pour sa ville natale lui ayant consacré un écrin au sommet de la colline où la cité se dresse, à quelques encablures de sa massive cathédrale.

Mes premières rencontres avec Soulages viennent de mes anciennes fonctions de directeur des affaires culturelles de la Ville de Saint-Étienne, entre 1994 et 1998, où je croisais régulièrement le concepteur et premier conservateur du musée d’art moderne de la Ville, Bernard Ceysson, premier biographe de l’artiste.

Bernard a toujours été érudit, a su mettre en permanence l’art et la société en perspectives, même si nos relations personnelles bilatérales ont été fort chaotiques, finalement assez mièvres… Il reste que je me souviens fortement de sa pédagogie et le remercie.

Visitant ce week-end des 18 et 19 mars derniers la ville de Rodez puis l’abbaye de Conques, qui fut le premier choc de Soulages de mémoire de créateur, qui lui a composé un verre nouveau translucide parfaitement adapté pour que la lumière du jour soit toujours en repérage de l’habitacle sacré, j’ai pu contempler avec bonheur la magie des œuvres du concepteur de l’outrenoir puisqu’en permanence la clarté, la lumière qui rayonnent et se réverbèrent en ses noirs, étincellent différemment, composent en variété ses toiles, créations.

Le petit opuscule de la très belle collection dite « Paroles d’artiste », consacré à Soulages, reprend au regard de son œuvre peint certaines de ces citations, pour mieux cerner, pénétrer son travail, sa composition à nulle autre pareille.

« On voit davantage avec ce que l’on a dans la tête qu’avec ses yeux » disait Soulages.

Je partage intégralement ce constat car une œuvre, notamment en art contemporain, se médite, se mérite, s’adapte à nos pensées, permet d’aller au-delà de la vision première que d’aucuns considéreront comme insuffisamment précise, voire fallacieuse…

« On est toujours guetté par deux choses aussi dangereuses l’une que l’autre : l’ordre et le désordre car il existe des ordres stériles et des désordres féconds. Et vice versa. ».

Je reprends souvent cette citation, surtout en nos réalités rudes du moment, où des adeptes de la désorganisation violente deviennent les complices d’un ordre quasiment sacralisé qui s’affiche comme l’unique vérité, le seul bien.

« Celui qui regarde un tableau avec sa sensibilité, sa propre expérience du monde se confronte tour à tour aux propositions de la peinture ».

Je n’ai pas le talent de peindre, même si j’aime dessiner. Par contre j’ai toujours été fasciné par l’œuvre peint, je prends le temps de pénétrer une œuvre, de m’y enfouir et enfuir, remerciant l’artiste des infinies possibilités poétisées et méditatives qu’il me lègue.

« Je n’aime pas les couleurs qui se jettent sur vous, vous sautent au visage pour faire remonter la sensation, je préfère les couleurs suggérées ».

C’est en ce sens qu’il faut vivre et pénétrer Soulages qui multiplie les variations colorées à l’infini en se plaçant au premier abord comme utilisateur exclusif du noir.

Mais il faut aller aux tréfonds de ces noirs pour s’imprégner de la panoplie de ses multiplicités étincelantes, lumineuses.

« La pratique de la peinture exige la solitude et le silence ».

Le parcours muséal à Rodez où l’on vit les œuvres en sous-sol dans une obscurité orchestrée oblige à la communication apaisée, au fait de parler à voix basse, ainsi de contempler avec minutie et ferveur les résultats des labeurs et compositions qui attirent l’œil, approfondissent la grandeur d’âme.

« Outrenoir pour dire au-delà du noir, noir qui cessant de l’être devient émetteur de clarté ».

Cette phrase me fascine car elle interpelle tous les adeptes du jugement de valeur qui réfutent l’analyse des complexités.

Derrière les apparences se fixe souvent l’essentiel : la contribution à sa propre conviction émancipatrice.

Que n’ai-je entendu cette communication : « je ne te comprends pas, je ne comprends pas ».

Amie et ami, si tu ne comprends pas ou ne me comprends pas, assieds-toi, écoute, et partage. Tu pourras évidemment ne pas être en accord, mais arrête de te pétrir de certitudes, la certitude de détenir le vrai devient aujourd’hui la plus vile des hypocrisies…

« Conques a été le lieu de mes premières émotions artistiques. J’étais bouleversé par la musique des proportions, par l’alliance singulière de force et de grâce ».

Soulages, par ses vitraux réalisés spécialement en respect du lieu, a entrepris une grande magnificence artistique.

Visiter Conques représente un émerveillement.

Céline parlait de « sa petite musique » pour décrire ses élans langagiers et littéraires, on la suit avec bonheur inspiré.

Soulages est parvenu à concilier en un lieu pénétré de sacré la force et la grâce, la puissance et l’harmonie.

Quoi de plus exigeant et miraculeux ? En ce sens il représente la quintessence de l’artiste au feu sacré justement.

« Le noir est antérieur à la lumière ».

On vit dans la pénombre lors de notre conception fœtale, mais la lumière qui nous lie à notre mère se multiplie en flamboyances, l’on repartira vers l’obscurité lors du grand voyage, en conservant par la force des esprits un lien avec celles et ceux que l’on a aimés, qui nous ont aimé.

Oui notre vie est lumineuse malgré les soubresauts et tensions, elle s’incarne entre deux champs d’obscurité.

Éric

Blog Débredinages

Paroles d’artiste : Pierre Soulages

Remarquable collection, très bien conçue

Éditions Fage en français et anglais

6.50€

Pablo Neruda : J’avoue que j’ai vécu – Confieso que he vivido

Amie Lectrice et Ami Lecteur, je le sais, je ne serais pas objectif, puisque je vais vous parler d’un de mes auteurs de référence, du poète du XXème siècle qui m’a toujours accompagné et dont j’ai suivi la trace, au sens physique direct du terme, Pablo Neruda, qui fut aussi Prix Nobel de Littérature.

Je ne vais pas parler précisément de sa « poétique », en cette humble chronique, puisqu’il s’agit d’évoquer un opus de Pablo Neruda, paru après sa mort, quelques jours seulement après le funeste coup d’Etat de Pinochet, en septembre 1973, sachant que la junte avait réfuté toutes funérailles officielles qui auraient entraîné une manifestation de masse, en soutien aux libertés publiques, qui furent, par obligation militaire dictatoriale, reportées au début des années quatre vingt dix, au retour de la démocratie, pour qu’enfin Pablo puisse avoir une sépulture digne de ce nom, face au Pacifique, juste à proximité de sa demeure d’Isla Negra, au Chili central.

Cela m’a toujours profondément attristé de savoir que cet artiste accompli et observateur engagé politique avisé avait quitté la terre avec son pays soumis à l’effroi et au suicide d’Allende dans La Moneda.

En 2008, je me suis rendu au Chili, pour pouvoir atteindre un de mes rêves : visiter l’Ile de Pâques.

Cette île magnifiée par le secret et le mythe de ses moais est située à équidistance, dans le Pacifique Sud, de la Polynésie Française et des Côtes Chiliennes, à 3600 km de chaque limite.

Nous sommes restés, les miens et moi, une semaine sur place, dans l’île, logés chez l’habitant, comme il se doit, au plus près des Rapa Nui, et, en amont et en aval de notre retour en France, via le Chili, j’avais obtenu, sans trop d’insistance et je les en remercie, des miens, la possibilité d’aller sur les traces de Neruda, à Santiago, à Valparaiso et à Isla Negra.

Santiago du Chili fut la ville du Neruda étudiant et apprenti poète, vivant de bohème et de sensations, de rencontres inédites, comme celle d’un proche du Ministre des Affaires étrangères qui lui permit d’être consul en Birmanie, alors protectorat Britannique, de démarrer ainsi, par la force des hasards, une carrière de diplomate, qui l’amena ensuite sur Madrid, en pleine palpitation rude et sanglante de la guerre civile, qui lui fit rencontrer Garcia Lorca, avant son exécution par les factieux Franquistes, relation nouée fondatrice pour son œuvre, son style et ses engagements.

Valparaiso, où Neruda s’installa sur les collines, avec sa villa complètement déjantée et folle résolue, sur plusieurs étages, où l’on a à peine la possibilité de se faufiler, qui permet de dominer la Cité colorée, qui s’attache à s’organiser comme un cabinet de curiosités avec des collections de toutes sortes, comme un lieu de travail, de méditation créative.

Valparaiso est une ville mythique, que j’ai eu le bonheur de découvrir, non seulement en parcourant La Sebastiana, la villa de Neruda, mais aussi en me perdant dans ses collines aux murs et maisons peints de couleurs chatoyantes, aux odeurs mélangées du port au trafic maritime considérable, de douceurs délicates de mets incomparables avec poissons à la chair étonnante (mahi-mahi ou pissi), à la présence de son ascenseur hors d’âge, cœur palpitant de la Cité, avec la présence des lions de mer, de pélicans gris qui se laissent bercer par les flots ou l’air marin et se dorent au soleil, en toute plénitude tranquille.

Et Neruda termina sa vie à Isla Negra, au Chili Central, en bord de Pacifique, à environ 100 km au sud de Valparaiso. Cette demeure est exceptionnelle, elle ressemble tellement à Pablo : elle renferme des collections de l’entomologiste distingué qu’il était, des cabinets d’art pavoisant où s’entremêlent des estampes, des esquisses, des œuvres, des dessins achetés et dénichés ci et là, des photographies de ses inspirateurs, et notamment du remarquable poète Walt Whitman, injustement méconnu, des objets de ses voyages et promenades, des clichés d’oiseaux, à satiété et profusion.

« Ahora voy a contarles alguna historia de pajaros », « Maintenant je vais vous raconter une histoire d’oiseaux… », qu’ai-je eu plaisir à lire cette phrase répétée, qui m’embarquait vers Parral, sa grande pluie australe du Pôle sud, qui tombe comme une cataracte…

Neruda voulait surtout retrouver la proximité avec son enfance, aux abords du Chili Austral, déjà baigné par les courants Antarctiques, en cette côte sauvage, imprévisible et déchiquetée d’Isla Negra.

Le livre de Neruda, dont j’ai le plaisir de vous parler, en cette chronique du jour, va de sa naissance à son installation comme diplomate, à Rangoon, et couvre 25 ans à peine.

Il se lit comme sa poésie, à pleine voix, à voix haute, avec des phrases qui sonnent (il faut « gueuler » ses phrases à la manière de Flaubert), qui résonnent et raisonnent ; il associe, en un syncrétisme assumé, des moments de douleurs, de craintes, de peurs, d’émotions à un humour percutant et toujours salvateur.

Neruda a perdu sa Maman en sa première année de vie, il ne l’a jamais connue, mais sa belle-mère l’a choyé, ne s’est jamais comporté comme une marâtre, mais bien comme une Maman réelle et tendre, totalement de substitution, auquel il a toujours rendu fort hommage.

Pablo a vécu dans des terres rudes, balayées par les bourrasques et la pluie incessante, en ces terres de mineurs et de convois ferroviaires de fret où son père était chargé de l’entreposage du ballast, un homme prévenant malgré son côté taiseux, parfois froid et caustique.

Pablo a apprécié la mixité sociale et métissée de son enfance, où des immigrants basques français, voulant échapper à l’enrôlement militaire des trois années obligées françaises ou espagnoles et au trafic de contrebande chanté par Loti dans Ramuncho, des immigrants allemands en quête de nouvelle donne commerciale, des araucans (peuples premiers descendant des précolombiens) vivaient en harmonie, dans le travail et le respect, dans l’ouverture relationnelle et la perception d’une première décennie de vingtième siècle porteuse, loin d’une Europe qui se déchirait entre colonies et gestion des alliances avant la saignée des tranchées.

Pablo aimait par-dessus tout se rendre sur la côte Pacifique, pendant les vacances, pour aller voir les pêcheurs, prendre une barque, sentir les odeurs de poisson et de marée, se promener sur la jetée, lire et rêver.

Pablo participait aux travaux des champs et notamment au battage des grains de céréales et il prenait un cheval pour s’enfoncer dans les forêts assez hostiles, pour faire halte à tout venant, en une maison tenue, une fois, pour son souvenir mémorable, par des Françaises, qui l’accueillirent avec passion quand Pablo leur récita des vers de Baudelaire.

Pablo était bon élève et fut mûr pour aller à Santiago et faire des études, pour devenir journaliste ou un « Monsieur de qualité » selon les attentes paternelles, mais Pablo sut qu’il voulait devenir écrivain, poète et surtout être « célèbre », ce qui pour un jeune homme de 20 ans peut apparaître comme le comble de la fatuité et de la désinvolture, mais qu’il revendiquait, avec les soucis de redistribuer ce qu’il gagnerait, pour un partage auprès des siens, de ceux qui travaillaient notamment durement et chichement en son Chili Austral.

Pagnol, qui n’avait que quelques années de plus que Neruda, avait toujours dit qu’il voulait devenir « riche », et qu’il le serait, et Neruda avait toujours dit qu’il conquerrait la célébrité et il l’atteindra…

Le jeune homme qui va faire ses armes de diplomate n’a connu que des amours de passage et sans passion, il n’a pas encore de conviction politique acérée, si ce n’est qu’il se veut patriote et indépendantiste Chilien, réfutant toute forme de conquête d’autre Etat sur les territoires de ce pays tout en longueur entre Pacifique et Cordillère des Andes, qu’il n’imagine pas une vie sans société juste et partagée, redistributrice.

En ses germes on retrouve déjà ses élans poétiques pour une vie émancipée, pleinement assumée et déployée, toujours soucieuse du plus fragile, et où l’amour et la contemplation du beau transcendent tous les instants.

Ce livre se lit avec une pure jouvence, il peut être qualifié de nectar, tant il est délicat et délicieux, avec sa narration des insectes observés (et collectionnés), sa connaissance encyclopédique des arbres et des fougères, sa capacité à faire ressentir dans les rencontres la nécessité de l’entraide, de la concorde et  surtout de la sublimation du collectif, propice à toutes les conquêtes.

Il fait du bien, il émeut et il caractérise les talents d’un écrivain et poète indépassable.

Je me suis incliné sur sa tombe à Isla Negra, et je sais que Pablo est toujours près de moi, par la force des esprits, et cela apaise.

Lisez et relisez Neruda !

Éric

Blog Débredinages

J’avoue que j’ai vécu – Jeunesse

Confieso que he vivido

Juventud

Pablo Neruda

Folio Bilingue

Hommage à Robert Hébras !

Cher Robert,

Vous ne vous souvenez bien évidemment pas de moi, mais pour ce qui me concerne, je me remémore, en permanence, votre présence toute en douceur, en émotions, en forces incarnées, en cette journée du printemps 1987, où vous m’accueillîtes, avec quelques autres personnes, pour un parcours de mémoire, en le village martyr d’Oradour sur Glane.

Vous aviez soixante-deux ans, et vous teniez à recevoir, par vous-même, « les visiteuses et visiteurs » de ce lieu marqué par l’horreur, pour évoquer ce qu’était votre village avant la folie dévastatrice et la cruauté installée du 10 juin 1944 ; vous vouliez aussi témoigner, encore et toujours, pour que pareille infamie et réalité terrifiante ne se reproduisent plus jamais.

Vous nous aviez montré la grange Laudy où les hommes avaient été rassemblés pour être fusillés, et où vous surviviez, en ne bougeant pas, sous les corps des villageois qui vous recouvraient, sachant que les SS de la Division Das Reich observaient tout mouvement et achevaient tout corps manifestant encore une étincelle de vie…

Vous nous aviez raconté, avec la larme du souvenir et de la douleur toujours vivaces, que la grange avait été incendiée, pour que les traces de ce forfait insoutenable disparaissent, comme les Nazis l’avaient aussi fait pour les chambres à gaz des camps de concentration.

Vous nous aviez présenté l’église, où femmes et enfants avaient été réunis avant d’y mettre le feu et de les brûler vifs ; vous aviez aussi retracé, souffle coupé, en montrant un mur, comment un barbare de la division avait pris un nouveau né pour lui fracasser le crane…

Vous parliez avec un semblant « détaché », en présentant les faits, sans omettre les plus viles ignominies, et vous montriez que l’humanité s’était arrêtée en ce jour funeste où seule la volonté d’horreur retentissait, en n’oubliant pas de rappeler qu’Oradour fut martyrisé quatre jours après le débarquement en Normandie, que les divisions SS, comme celle de Das Reich, voulaient terrifier, massacrer, montrer la force par la violence la plus assumée, comme si les combats pour la victoire Nazie devaient anéantir pour leurs succès toute forme de morale.

Et vous évoquiez Tulle et les pendaisons de 99 suppliciés, la veille, par les mêmes tortionnaires.

Vous aviez assisté au procès de 1953 et aviez regretté qu’il n’ait pu se déployer comme un procès pour l’humanisme et l’humanité, puisqu’il fut accaparé par le soutien du peuple Alsacien auprès des Malgré-Nous, donc des enrôlés de force Alsaciens dans les Waffen SS, très nombreux dans la division Das Reich. Les considérer comme coupables de crimes contre l’humanité ne pouvait s’entendre puisqu’ils ne pouvaient qu’obéir ou mourir…

Pour vous ce procès n’avait pas été orienté sous les auspices attendus et que devait réunir le village martyr.

Dans vos mémoires, l’on vous reprochera, sans vergogne, d’avoir pu douter de cet enrôlement forcé, alors que vous souhaitiez seulement placer chaque homme face à sa conscience : entre le choix de mourir libre de ne pas être souillé par l’horreur et celui d’accepter de participer à l’insoutenable, vous aviez, en tant que témoin du drame absolu, la possibilité d’ouvrir un débat.

Vous regrettiez que l’on vous menace de procès (et vous en avez connu, avant d’être fort heureusement absous) sur la seule intention qui était la vôtre de mettre l’homme ou la femme face à ce choix cornélien : la soumission avec la perte de toute réalité humaine ou l’acceptation d’en finir en conservant son âme. Je ne sais pas – et ne vais certainement pas anticiper – quel serait le mien, en pareille circonstance absolue, mais votre message me sera toujours présent.

La visite de mémoire réalisée, vous ouvriez un sourire, car la vie vous portait, par delà la perte de vos êtres chers et des cauchemars qui s’emplissaient depuis tellement d’années, rappelant ce que vous aviez vécu.

Vous étiez toujours un Européen convaincu, un partisan permanent, récurrent, du rapprochement, puis de la réconciliation Franco-Allemande et Franco-Autrichienne, et vous vouliez que les Institutions garantissent la paix et la protection civile, la concorde entre les peuples.

Vous arpentiez les écoles et rencontriez les jeunes, pour témoigner de l’horreur Nazie et des intolérances, pour affirmer que la déshumanisation se place comme une réalité toujours possible, qu’il convient pour la combattre et l’anéantir, de toujours se pencher sur le passé, se souvenir des moments de l’histoire insoutenables, pour organiser un futur apaisé, positif, où chaque femme et chaque homme considèrent l’autre comme un enrichisseur personnel et pas comme un ennemi à contester, avilir, détester…

Vous m’aviez serré la main et dit ces quelques mots : « respirez l’air, songez au passé douloureux de ce village martyr, engagez-vous pour témoigner et porter la mémoire, et surtout soyez conquérant humaniste ! ».

J’ai toujours conservé votre maxime intacte, et ne sais pas si je fus ou si je suis un « conquérant humaniste », mais j’essaie de me placer sous les axes de l’humanisme, pour tenter de participer à la conquête d’un mieux-vivre sociétal.

Je n’évoquerai pas les dernières abjections de viles personnes qui ont saccagé le centre de mémoire, en osant biffer la mention du village martyr pour en revêtir le sinistre mot de « mensonge » ; comme vous l’avez déclaré avec votre profondeur habituelle : « ces actes ne sont pas peut-être pas cernés, mais ils nécessitent de toujours renforcer la vigilance du devoir de mémoire ».

Je voulais, très modestement, en cette humble chronique, vous rendre hommage et vous adresser mes sincères et chaleureuses affections !

De Profundis, Robert, et reposez en paix, vous qui avez toujours œuvré pour elle !

Éric

Blog Débredinages

L’espèce humaine de Robert Antelme

Comment parler de l’indicible, retracer l’horreur, l’absence totale d’humanité, l’expérience de l’enfermement concentrationnaire ?

Robert Antelme, dès sa libération de Dachau en mai 1945, s’est attelé, après sa période de soins impératifs puisqu’il se trouvait plus qu’à bout de force, de souffle, à reprendre les choses vécues, vues, endurées, telles qu’elles furent, pour que le lecteur puisse s’emparer des conditions effroyables, terrifiantes qui s’entassaient dans les camps d’internement de l’Allemagne Nazie.

Robert fut le compagnon de route du mouvement de résistance initié notamment par François Mitterrand, il y militera avec courage, conviction, avec sa compagne, Marguerite Duras.

Robert fut arrêté en août 1944, il passera neuf mois en camp à Buchenwald, Gandersheim et Dachau.

L’histoire racontera que François Mitterrand, représentant du gouvernement provisoire français pour les prisonniers de guerre et déportés, aurait été appelé par Robert, lors de sa venue pour la libération de Dachau, sans que son ami François ne le reconnaisse, tellement Robert était diminué…

Robert, dans ce livre indépassable, qui doit constituer le bréviaire de tout honnête citoyen quand il perçoit les obscurantismes et totalitarismes en point de mire, décrit ce que fut la vie (si l’on peut dire…), telle que fomentée par les chefs concentrationnaires, puisant eux-mêmes leurs organisations putrides dans les idéologies nationales socialistes.

Robert écrit des passages saisissants sur la faim, sur la volonté indéfectible des concentrationnaires de tout mettre en œuvre pour que les prisonniers aient faim, qu’ils ne puissent plus penser à autre chose qu’à avoir faim, eux qui n’ont qu’une ration par jour composée d’une maigre tranche de pain, voire d’un peu de soupe bien maigre.

Robert montre que les chefs de camp, puis les kapos (les prisonniers internés à qui l’on demande de devenir responsables de commandos, qui se comportent comme les pires tortionnaires), peuvent eux manger à leur faim, peuvent eux se faire du gras, des muscles, montrant leurs agapes devant les prisonniers en détresse, affamés, capables douloureusement de se déchirer en volant le peu de nourriture que certains ont voulu mettre de côté pour « mâcher » plus tard.

Robert écrit la présence infernale des poux qui attaquent la peau, qui dévorent les chairs, qui s’agglutinent sur tout le corps en empêchant toute prise de sommeil, qui entraîne que tous les chefs de camps, tous les citoyens libres croisés dans le camp considèrent les prisonniers comme une vermine qui ne doit pas apparaître sur terre, qui doit accepter le traitement qu’on lui fait endurer, pour qu’elle maîtrise bien qu’on ne lui reconnaît plus aucune forme d’humanité.

Robert écrit l’assassinat en règle des prisonniers malades, exténués, que l’on exécute en prétextant les amener en un endroit moins rude que les camps de travail forcé en usines.

Robert écrit la litanie de travaux stupides où il faut que les prisonniers endurent les coups, reçoivent des insultes, travaillent sans relâche pour casser ou empiler des pièces, dont l’objectif industriel ne se repère absolument pas.

Robert écrit la méchanceté des kapos, stubendienst et autre lagerälstater, qui se complaisent à la servilité, à l’allégeance aux responsables de camps, qui recherchent en permanence à humilier les prisonniers, pour tenter de sauver leur peau, sans aucune dignité.

Robert écrit aussi la solidarité entre copains de camps, qui s’entraident quand certains n’en peuvent plus, tombent d’épuisement, qui partagent les pissenlits mis de côté, découverts lors d’une marche entre deux usines de travail forcé, qui rappellent aux copains en détresse d’éviter de se rendre au revier (infirmerie) pour éviter l’exécution qui menace…

Robert écrit aussi le temps passé aux chiottes, seul moment infect de latrines décomposées, où l’on peut cependant se laisser aller à une méditation, à penser à l’ailleurs, à la vraie vie que l’on ne sait si elle pourra être recouvrée un jour…

Robert écrit les marches de la mort quand les alliés prennent possession de l’Allemagne, avancent sur Berlin, que les chefs de camps organiseront pour éviter tout témoignage extérieur sur ce que fut la vie en camp concentrationnaire, obligeant les prisonniers à aller au bout de leurs forces, entraînant des morts par centaines, connaissant déjà que la guerre était perdue…

Mais il fallait que les prisonniers ne puissent jamais recouvrer espoir, ne puissent jamais retrouver leurs conditions humaines.

Robert a écrit en 1947 ce livre magistral, qui a donné son nom au recueil passionnant, difficile en lecture mais essentiel, de la collection de la Pléiade, dont je vous reparlerai régulièrement, en ce modeste blog, Amie Lectrice et Ami Lecteur.

Ce livre constitue le témoignage majeur de l’univers concentrationnaire visant la négation, le néant de l’humanité pour ceux qui ne correspondaient pas au prototype aryen.

Michel Foucault rappelait « qui détruit un homme sciemment les détruit tous ! ».

Robert Antelme reprenant les thèses sartriennes déclame : on peut vouloir détruire un homme, lui ôter tout sens d’humanité, tout espoir de vie, mais l’on ne pourra jamais l’empêcher de penser librement, dire en face à ses geôliers, tortionnaires qu’il ne les hait pas, qu’il ne les méprise pas, qu’il les ignorera, qu’il s’élèvera sans eux, malgré la possible ou probable mort, eux qui resteront toujours à quai parmi la fange et la lie.

Éric

Blog Débredinages

L’espèce humaine

Robert Antelme

Bibliothèque de la Pléiade

Préface par Henri Scepi

Édition publiée sous la direction de Dominique Moncond’huy, avec la collaboration de Michèle Rossellini et d’Henri Scepi

Hommage à Marion Campan

Il m’arrive de regarder des séries policières télévisuelles.

Au moment du confinement, en 2020, je n’avais pas raté un épisode de la série OPJ (officier de police judiciaire) qui se déroulait en Nouvelle Calédonie.

Je voyais les épisodes en replay, chacun durait environ une vingtaine de minutes, en début de soirée, puisqu’ils étaient diffusés en après-midi, moment où j’enseignais en ligne, devenant un adepte de plus en plus maîtrisé de Zoom avec mes élèves et stagiaires.

J’appréciais des enquêtes toujours fouillées, où les inspecteurs ne cachaient pas leurs fêlures, leurs moments de doutes, leurs limites, où les interrogatoires se voulaient déterminants pour la recherche de la vérité, en respect des interlocuteurs quelles que soient leurs insuffisances, en compréhension de leurs vécus, ne les fixant pas comme seulement intégrés au camp du malsain.

Je suivais Clarissa, entreprenante, juste, fougueuse, parfois excessive.

Je repérais Kelly toujours fidèle à sa tribu, aux préceptes inculqués dans son île des Loyautés, en volonté cependant de s’émanciper, de choisir son destin.

Je m’identifiais à Gaspard, souvent malhabile, emprunté, toujours fidèle en amitié, attachant, perspicace, très fin connaisseur des relations humaines.

J’observais Jackson qui avait demandé sa mutation, profondément traumatisé par une intervention qui s’était mal passée, ayant entraîné la mort d’un suspect, voulant réparer une faute qu’il considérait comme impardonnable.

Un personnage, le médecin légiste, Joséphine, prenait une importance capitale dans la série, car elle cernait rapidement tout ce qui pouvait servir à l’enseignement de l’enquête, avec précisions développées émérites.

La deuxième saison s’est déroulée à La Réunion, je l’ai visionnée en 2021, en été, là-aussi, en replay, avec des épisodes soignés, très bien écrits, assurant aussi une promotion de tous les reliefs de l’île.

J’aime particulièrement la présence récurrente, depuis la première saison, de moments, dans chaque épisode, où les citoyens lambda de la Nouvelle Calédonie ou de la Réunion, quels que soient leurs âges ou leurs origines, parsèment de leurs sourires, en musique de fond toujours particulièrement bien choisie, les passages des divers pans de l’enquête, en remerciements pour la gentillesse des partages de tournages.

Le personnage de Joséphine, qui se rapproche intimement de Gaspard, est interprété depuis la saison II par l’actrice Marion Campan, fine et intelligente dans ses missions professionnelles, délicate, humoristique, enlevée, ravissante à souhait dans son incarnation.

Je viens de terminer le visionnage en replay de la saison III où le personnage de Joséphine, qui a quitté Gaspard, trop entreprenant, trop possessif en fin de saison II, prend de l’épaisseur, montre aussi ses fragilités.

Elle semble conquise par la rencontre intimiste avec un Procureur de charme mais déchante vite quand ce dernier deviendra violent, en toutes les acceptions les plus sinistres du terme.

La saison III se clôture sur une détresse pour Joséphine, sans qu’on en sache plus…

Il ne m’arrive que bien rarement d’écouter les informations des protagonistes télévisuels.

Mais j’ai été profondément touché quand j’ai appris la mort brutale de Marion Campan, le 15 août dernier, alors qu’elle venait de terminer le tournage de la saison IV.

L’actrice aurait pu mettre fin à ses jours.

Je me permets, très humblement, en ces circonstances de reprendre le message de Raymond Barre, quand il connût le suicide de Pierre Bérégovoy : « le respect, le silence, et si l’on est croyant, la prière ».

Je ne suis pas croyant, mais je me place en respect et en silence.

Chère Marion, vous étiez la jeunesse inspirante, la beauté ciselée rayonnante, l’interprétation dynamique d’un personnage marquant associant capacités scientifiques remarquables, sensibilité aiguisée et organisation diligente. Vous vous placiez, avec vos collègues de la série, dans l’interprétation d’épisodes totalement en phase avec nos réalités rudes et dures sociétales.

J’appréciais votre incarnation, la trouvais tout simplement magnifiée.

Par la force des esprits, je vous adresse toutes mes confraternités.

Éric

Blog Débredinages

Hommage à Marion Campan !

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