En parcourant, comme quasiment tous les premiers dimanches de mois, les tréteaux des bouquinistes de la Place Jean Macé, sur Lyon 7ème, j’ai déniché, récemment, un livre de Jules Verne, que je pensais pourtant avoir lu, en son intégralité, au moins deux fois, que je n’avais pourtant jamais parcouru, ni même identifié : il s’agit de Fils d’Irlande.
Ce livre se place en forte originalité dans l’œuvre du grand écrivain, malheureusement trop souvent affecté à la littérature de jeunesse, alors que ses connaissances scientifiques et encyclopédiques en font un analyste brillant et un conteur hors pair, soucieux de ménager le suspense, enchevêtrant en permanence ses personnages et narrations pour insuffler un esprit de conquête et d’aventure qui m’ont toujours fasciné.
Ce livre raconte, à la manière de David Copperfield de Dickens ou de Sans Famille d’Hector Malot, l’histoire d’un tout jeune garçon, qui n’a jamais reçu d’autre nom que celui de « P’tit Bonhomme », et qui, de misère endurcie à châtiments corporels, va finir cependant, à force de droiture, de conviction, de travail investi, de volonté de se sublimer par l’étude et la réflexion, à sortir de sa nasse et de sa condition pour répandre le bien autour de lui.
On pourra considérer que ce roman s’intègre en une fiction de bon aloi, où tout finit bien et où toute personne peut s’élever, en respectant les codes pourtant inégaux, mais ce serait bien péjoratif, car Verne, qui fut aussi Conseiller Municipal Républicain-social, dénonce les injustices, les privilèges et condamne les ordres établis, sans pour cela accepter les malversations ou violences ou les volontés de bouleversement révolutionnaire.
P’tit Bonhomme se voit d’abord enlevé d’une famille d’où il ne repère que le visage doux et l’affection d’une toute jeune fille, prénommée Sissy, pour aller servir un mauvais homme qui part en bohème sur les chemins, par tous temps, pour présenter des marionnettes.
Le chaland ne sait pas que P’tit Bonhomme est le seul à faire fonctionner les marionnettes et qu’il s’échine à la tâche en avançant, de plus, à pied, sur des chemins difficiles.
Sans un cri échappé un jour de représentation et entendu par un prêtre, il aurait pu continuer longtemps à errer de la sorte, en misère d’esclavage…
Mais le prêtre le confie à une pension où le seul intérêt de son responsable vise à suggérer aux enfants d’abandon d’aller se livrer à la mendicité ou à de menus larcins pour subvenir à leur gîte et couvert, pourtant plus que rudimentaires…
Heureusement P’tit Bonhomme croise la route de Grip, jeune homme qui le prend en protection, et qui reconnaît vite les qualités humaines de l’enfant, et lui apprend aussi à lire, écrire et compter, malgré la méchanceté de ses autres condisciples.
Un incendie ravageur où Grip sauve P’tit Bonhomme, sépare leurs chemins, car l’enfant est recueilli par une comédienne qui veut l’adopter et le chérir, mais surtout pour assurer sa notoriété de bienfaitrice.
Une mauvaise compréhension, entre la comédienne et l’enfant, un jour où elle l’invite à monter sur scène, laisse P’tit Bonhomme de nouveau, seul et abandonné… Verne en profite pour donner sa perception impitoyable sur celles et ceux qui font le bien uniquement pour leur gouverne de communication…
Il finit par rencontrer une famille de fermiers, aimante et solidaire, qui le recueille ; il y passe de belles années, avant que les récoltes soient compliquées et que le propriétaire expulse celles et ceux qui l’ont reconnu comme fils.
Verne en profite pour prendre la défense des nationalistes Irlandais désireux de prendre leur émancipation et leur indépendance face à une Grande-Bretagne repliée sur ses privilèges d’aristocratie ; il magnifie leur volonté de combat qui ne peut se vivre qu’avec des révoltes, pourtant réprimées sévèrement par les ordres de sa Majesté…
P’tit Bonhomme se retrouve de nouveau seul, mais avec le chien de la maison Birk, et ensemble, ils vont affronter de nouveau l’existence, avec un passage comme valet de châtelain, puis, en sauvant un jeune enfant de la noyage suicidaire, vont tenter de se lancer dans le commerce de produits de papeterie, avant de devenir de vraies hommes d’affaire avisés, et surtout très organisés, employant déjà des techniques publicitaires et de communication.
P’tit Bonhomme voudra surtout tout faire pour remercier celles et ceux, qui l’auront aimé, aidé et appuyé, sur sa route douloureuse et pénible, rude et sans pitié, pour les assurer de son infinie reconnaissance et pour que s’ouvrent des lendemains plus apaisants et porteurs.
Un livre solidaire, positif, qui n’élude pas les réalités insupportables et les avidités humaines, mais qui plaide vers une concorde, et surtout pour la mise en œuvre de lois permettant à l’enfance de vivre et de s’épanouir tranquillement, en sa découverte intérieure, avec l’appui d’une éducation bienveillante qui lui donnera les clefs pour construire une vie digne et juste, ouverte au partage. Et en fin de XIXème siècle, ce message avait une force évidente, qui reste encore à porter aujourd’hui, en de nombreux coins du Monde.
Eric
Blog Débredinages
Fils d’Irlande
Jules Verne
4 euros en Bibliothèque Verte de 1975 chez les Bouquinistes Lyonnais