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débredinages – "s'enrichir par la différence !"

Mois

août 2022

Hommage à Marion Campan

Il m’arrive de regarder des séries policières télévisuelles.

Au moment du confinement, en 2020, je n’avais pas raté un épisode de la série OPJ (officier de police judiciaire) qui se déroulait en Nouvelle Calédonie.

Je voyais les épisodes en replay, chacun durait environ une vingtaine de minutes, en début de soirée, puisqu’ils étaient diffusés en après-midi, moment où j’enseignais en ligne, devenant un adepte de plus en plus maîtrisé de Zoom avec mes élèves et stagiaires.

J’appréciais des enquêtes toujours fouillées, où les inspecteurs ne cachaient pas leurs fêlures, leurs moments de doutes, leurs limites, où les interrogatoires se voulaient déterminants pour la recherche de la vérité, en respect des interlocuteurs quelles que soient leurs insuffisances, en compréhension de leurs vécus, ne les fixant pas comme seulement intégrés au camp du malsain.

Je suivais Clarissa, entreprenante, juste, fougueuse, parfois excessive.

Je repérais Kelly toujours fidèle à sa tribu, aux préceptes inculqués dans son île des Loyautés, en volonté cependant de s’émanciper, de choisir son destin.

Je m’identifiais à Gaspard, souvent malhabile, emprunté, toujours fidèle en amitié, attachant, perspicace, très fin connaisseur des relations humaines.

J’observais Jackson qui avait demandé sa mutation, profondément traumatisé par une intervention qui s’était mal passée, ayant entraîné la mort d’un suspect, voulant réparer une faute qu’il considérait comme impardonnable.

Un personnage, le médecin légiste, Joséphine, prenait une importance capitale dans la série, car elle cernait rapidement tout ce qui pouvait servir à l’enseignement de l’enquête, avec précisions développées émérites.

La deuxième saison s’est déroulée à La Réunion, je l’ai visionnée en 2021, en été, là-aussi, en replay, avec des épisodes soignés, très bien écrits, assurant aussi une promotion de tous les reliefs de l’île.

J’aime particulièrement la présence récurrente, depuis la première saison, de moments, dans chaque épisode, où les citoyens lambda de la Nouvelle Calédonie ou de la Réunion, quels que soient leurs âges ou leurs origines, parsèment de leurs sourires, en musique de fond toujours particulièrement bien choisie, les passages des divers pans de l’enquête, en remerciements pour la gentillesse des partages de tournages.

Le personnage de Joséphine, qui se rapproche intimement de Gaspard, est interprété depuis la saison II par l’actrice Marion Campan, fine et intelligente dans ses missions professionnelles, délicate, humoristique, enlevée, ravissante à souhait dans son incarnation.

Je viens de terminer le visionnage en replay de la saison III où le personnage de Joséphine, qui a quitté Gaspard, trop entreprenant, trop possessif en fin de saison II, prend de l’épaisseur, montre aussi ses fragilités.

Elle semble conquise par la rencontre intimiste avec un Procureur de charme mais déchante vite quand ce dernier deviendra violent, en toutes les acceptions les plus sinistres du terme.

La saison III se clôture sur une détresse pour Joséphine, sans qu’on en sache plus…

Il ne m’arrive que bien rarement d’écouter les informations des protagonistes télévisuels.

Mais j’ai été profondément touché quand j’ai appris la mort brutale de Marion Campan, le 15 août dernier, alors qu’elle venait de terminer le tournage de la saison IV.

L’actrice aurait pu mettre fin à ses jours.

Je me permets, très humblement, en ces circonstances de reprendre le message de Raymond Barre, quand il connût le suicide de Pierre Bérégovoy : « le respect, le silence, et si l’on est croyant, la prière ».

Je ne suis pas croyant, mais je me place en respect et en silence.

Chère Marion, vous étiez la jeunesse inspirante, la beauté ciselée rayonnante, l’interprétation dynamique d’un personnage marquant associant capacités scientifiques remarquables, sensibilité aiguisée et organisation diligente. Vous vous placiez, avec vos collègues de la série, dans l’interprétation d’épisodes totalement en phase avec nos réalités rudes et dures sociétales.

J’appréciais votre incarnation, la trouvais tout simplement magnifiée.

Par la force des esprits, je vous adresse toutes mes confraternités.

Éric

Blog Débredinages

Hommage à Marion Campan !

Les grands cimetières sous la lune de Georges Bernanos

Il faut un « sacré » talent, en toutes les acceptions de l’expression, pour transformer un pamphlet en œuvre littéraire immense, indépassable.

Georges Bernanos, en 1937, s’affiche clairement comme monarchiste, catholique « amoureux », référence qu’il préfère à catholique pratiquant.

Il se rend aux Baléares pour suivre la situation de la guerre civile espagnole, pour laquelle il n’hésite pas à dire qu’il se rangerait dans le camp des phalangistes, donc de Franco.

Le fils de Bernanos s’est lui-même engagé avec les forces phalangistes, par don de soi pour protéger les églises, la chrétienté, en pureté idéalisée.

Bernanos assiste, sur place, à des arrestations sommaires, à des exécutions de personnes suspectées de sympathies potentiellement républicaines.

Bernanos repère que des prêtres, représentants des épiscopats bénissent des massacres de prisonniers, de personnes que l’on va froidement tuer, parce qu’elles pourraient ne pas appartenir au bon côté de ce qui serait une nouvelle guerre sainte.

Bernanos est ravagé, meurtri, il se révolte, il détonne de colères, ravale toute haine mais veut déclamer la vérité, prend fait et cause pour la raison, l’humanisme, le refus des injustices, la détestation des violences qui pourraient être sacralisées par ce même Dieu qu’il vénère, prie, appelle en permanence.

Bernanos, poilu de 14, qui a vécu les terrifiants moments de montée des assauts pendant la Grande Guerre, qui a vu la solidarité entre soldats par-delà leurs origines sociales, ne peut accepter la cruauté des abjections qui s’étale à Palma de Majorque, devant ses yeux.

Il prend la plume, crie, règle des comptes, se positionne comme homme au-dessus des mêlées, il écrit avec force un plaidoyer pour que l’homme puisse rester ce qu’il doit être, un esprit libre, conscient, au service des collectifs, soucieux de son prochain.

Il fustige les dévots béats, comme Claudel, qui psalmodient des flagellations, considérant que Dieu reconnaîtra forcément les siens parmi les horreurs qui s’accumulent.

Il critique férocement les vieux penseurs comme Maurras, toujours prêts à invectiver la jeunesse, à lui demander de se porter en élan, alors que depuis des lustres ces polémistes restent tranquillement dans leurs bureaux, en attendant les dorures de l’académie, se trompant souvent…

Il condamne férocement ceux qui poussent la jeunesse dans la passion, la déraison, alors qu’elle sort d’une enfance innocente, pétrie de vertus de douceur, de quête du bonheur.

Je ne me permettrai pas de résumer ce livre magnifié, ce serait inconvenant, j’inscris des citations marquantes qui étaient fortes, directes, prophétiques en 1937, qui restent malheureusement contemporaines, en nos tragédies récurrentes traversées :

« La colère des imbéciles remplit le monde, elle est incapable de pardon. ».

« Nul n’ignore de quoi est capable la haine vigilante et patiente des médiocres. ».

« La Terreur me paraît inséparable des révolutions de désordre, parce qu’entre les forces de destruction, c’est la Terreur qui va le plus loin, qui pénètre le plus avant, qui atteint la racine de l’âme. ».

« Pour moi, j’appelle Terreur tout régime où les citoyens, soustraits à la protection de la loi, n’attendent plus la vie ou la mort que du bon plaisir de la police d’État. C’est ce Régime que j’ai vu fonctionner. Mgr l’évêque de Palma en sait plus que moi, j’ai toujours pensé que Notre Saint-Père le pape aurait grand intérêt à questionner ce dignitaire, sous la foi du serment. ».

« Ce caractère de vengeance exercée au nom du Très Haut rend un immense service à la majorité des Espagnols, il les dispense de remords en leur permettant de se décharger de toute responsabilité dans l’autre monde, sur les robustes épaules de leurs confesseurs. ».

« Pendant des mois, à Majorque, les équipes de tueurs, transportées rapidement de village en village par des camions réquisitionnés à cet effet, ont froidement abattu, au su de tous, des milliers d’individus jugés suspects, mais contre lesquels le tribunal militaire lui-même eût dû renoncer à invoquer le moindre prétexte légal. Mgr l’évêque de Palma était informé de ce fait, comme tout le monde. ».

« Le Monde est dorénavant mûr pour toute forme de cruauté, comme pour toute forme de fanatisme ou de superstition. ».

La rage de Bernanos, qui ne reniera jamais sa foi, qui n’acceptera jamais qu’on l’emprisonne dans des esprits obscurantistes y compris de chapelles potentiellement divines, s’exprime avec rage, en écorché vif, en témoin de ses amis tombés en 14, avec la volonté de proclamer toujours « une indestructible espérance » (selon les mots de Michel del Castillo) car « une nouvelle chevalerie domptera la barbarie ».

Éric

Blog Débredinages

Les grands cimetières sous la lune

Georges Bernanos

Préface de Michel del Castillo

Collection Signatures Points

8.90€

Les trappeurs de l’Arkansas de Gustave Aimard

Récemment, avec mon ami Michel, son petit-fils Mathis, j’ai visité avec bonheur l’exposition sur les Sioux au musée des confluences de Lyon.

J’ai pu voir dans les vitrines installées le livre de Gustave Aimard, qui fait partie de la bibliothèque familiale en notre maison de l’Allier, dans la célébrissime collection des éditions de l’érable, richement illustrée.

Pendant ma période de vacances, j’ai relu ce livre dont je ne me rappelais que de quelques bribes.

Ce roman n’est nullement un postulat colonialiste, il ne considère pas les Indiens comme des sous-hommes que l’on se devait de « civiliser », il prend le parti de la concorde, de la fraternité, ce qui était plutôt rare au XIXème siècle, même s’il ne peut s’empêcher de considérer avec condescendance certaines pratiques violentes des populations premières, ramenées à l’aune de notre humanisme réputé supérieur des Lumières.

Rafaël, fils aîné de Don Ramon, commet un forfait de jeunesse, en montrant ses prouesses en un rodéo sauvage interdit, en réfutant de se plier aux autorités l’haranguant pour qu’il se rende.

La personne qui se lance à sa poursuite meurt accidentellement lors d’un semblant de combat à cheval avec le jeu homme.

Le juge se rend en l’hacienda de la famille, le père patriarche exile son fils en punition définitive, à la détresse infinie de la mère du jeune homme qui implore en vain son mari.

Le livre s’ouvre sous un nouveau chapitre où l’on croise Cœur Loyal, chasseur-trappeur de son état, intrépide, respecté des Indiens Comanches autant qu’il les respecte, qui vient en aide à un jeune homme de dix-sept ans, promis à la mort au poteau par une communauté Peau Rouge, en lien avec une échauffourée sur leurs terres ancestrales.

Cœur Loyal fait libérer le jeune homme, l’amène dans une de ses nombreuses caches installées dans les grottes environnantes où il stocke ses réserves de nourriture et peaux.

Ce jeune homme, Belhumeur, restera en permanence avec Cœur Loyal, lui devant sa vie, lui promettant qu’un jour il lui sauvera aussi la vie.

Une expédition mexicaine sur les terres indiennes qui se veut pacifiée, scientifique, avec un botaniste décalé qui recherche en permanence les moyens de développer sa collection, conduite aussi par d’anciens militaires de bravoure, parcourt les terres Comanches, emmenée par les rires et joies de Dona Luz, qui identifie l’expérience comme une vraie belle promenade…

Le chef d’une communauté comanche, Tête d’Aigle, ennemi juré de Cœur Loyal, qu’il considère comme un envahisseur potentiel, comme un homme trop droit pour être totalement honnête, qui a osé lui faire grâce lors d’un combat de corps à corps, l’humiliant ainsi face à sa tribu, cherche à s’emparer des membres de l’expédition.

Parallèlement à ces protagonistes décrits qui avancent dans leurs histoires racontées, la mère de Rafaël, accompagné de son fidèle serviteur, recherche éperdument son fils exilé, elle tente une dernière quête pour le revoir, si Dieu lui prête encore vie…

Cœur Loyal interviendra pour chasser les Comanches lorsqu’ils voudront attaquer le camp d’expédition, remarquera cependant que des membres de l’équipage pourraient bien être des espions des Comanches, des traîtres à leurs employeurs.

Mais les Comanches n’ont pas dit leur dernier mot, finissent par incendier le fort où l’expédition s’était rassemblée, rasant toute forme d’habitations, faisant des prisonniers promis au jugement.

Le livre s’ouvre alors sur de multiples pistes, comme un chasseur Indien en flaire souvent, qui se structurent entre aventures, prouesses, moments dramatiques puis réjouissances :

  • On apprendra que l’expédition a été mise sur pied par le père de Rafaël, qui rumine depuis des années la déchéance qui est la sienne depuis l’exil qu’il a proféré contre son fils.
  • On repèrera que Dona Luz se sent très attirée par le fougueux, impétueux, Cœur Loyal.
  • On analysera que les traîtres aux employeurs de l’expédition ne constituent pas des indicateurs des Indiens mais au contraire qu’ils livrent des informations à des bandes de brigands détrousseurs.
  • On appréciera la description fraternelle de l’auteur, qui organise la relation devenue amicale entre les Comanches et Cœur Loyal avec Benhumeur, qui uniront leurs forces pour vaincre les bandits qui menacent le fragile écosystème, les terres ancestrales des Indiens, qui fait que les membres de l’expédition, pourtant bien vilipendés par les Comanches, s’associeront à eux pour assurer leur tranquillité, perpétuer leurs traditions.
  • On découvrira des lieux naturels magiques en suivant les pas de l’Elan Noir, ami de Cœur Loyal, homme anticipateur du respect des rythmes des floraisons et de la vie animale.
  • On imaginera aisément comme fin heureuse que Cœur Loyal et Rafaël pourraient se concilier, que Dona Luz pourrait s’engager dans une nouvelle vie aventureuse avec son conquérant séducteur, que le père et la mère de Rafaël finiront par se rejoindre, par des hasards aussi incongrus que prometteurs, au détour de leurs voyages incertains, pour avoir le divin bonheur de retrouver leur fils…

Ce livre peut être associé comme un roman un peu à l’eau de rose, aux descriptifs béats de forêts, d’étendues magnifiées par la force naturelle, qui unifie Indiens autochtones et Blancs dans une relation apaisée un peu illusionnée.

Je ne souscris pas à cette perception galvaudée qui a souvent identifié la lecture critique de ce livre.

Pour moi l’auteur place la vie des communautés indiennes comme inséparable du respect de la nature, de la préservation des environnements, de l’emploi d’une chasse aux mesures de la seule subsistance juste.

Pour moi l’auteur fait rencontrer les Comanches et les Blancs dans une union bienfaitrice contre ceux qui menacent les équilibres, contre ceux qui offensent les terres de vie, et, si bien évidemment l’écriture ne correspond pas aux drames tragiques qui ont ensanglanté la conquête de l’ouest, elle assure que l’homme dit civilisé et l’homme dit sauvage doivent se retrouver dans la force des différences, pour un partage porteur.

Pour moi l’auteur, en dehors de son romantisme un brin excessif qu’il assoit à chaque page, parfois avec une certaine mièvrerie, plaide pour la concorde, le bonheur de la rencontre, l’enrichissement par la différence, l’assurance d’un humanisme qui transcende les vécus, qui réfute racismes, insuffisances, méfiances, lâchetés.

En ce sens ce livre doit être relu, en une période où les affrontements et querelles prennent souvent le pas sur fraternité et sororité.

Éric

Blog Débredinages

Les trappeurs de l’Arkansas

Gustave Aimard

Éditions de l’érable

Collection personnelle et familiale de 1967

Illustrations magnifiques de Jean Cheval

A marche forcée de Slavomir Rawicz

Amie lectrice et ami lecteur, j’ai découvert l’existence de ce livre en lisant Sylvain Tesson, mon auteur favori, de prédilection, écrivain-voyageur, homme de culture intense.

Sylvain Tesson a écrit L’axe du loup, réédité dans la collection Bouquins, compilation magnifiée de son œuvre, en 2020, qui m’accompagne plus que souvent.

On a contesté à Slavomir Rawicz la réalité de son histoire, de son récit, mais celui qui n’a pas vécu l’enfer ne peut comprendre l’indicible violence de celui qui a été privé de toute dignité, de toute possibilité de reconnaissance humaine.

Le réalisateur Peter Weir a adapté au cinéma le livre de Rawicz, avec « les chemins de la liberté ».

Slavomir Rawicz vient juste d’épouser celle qu’il aime, qu’il ne reverra jamais plus, en ce début de septembre 1939.

Il est rappelé par la cavalerie polonaise pour résister à l’invasion allemande, aux tanks nazis, sachant que le pacte germano-soviétique, que beaucoup de communistes n’ont jamais compris et que beaucoup d’autres ont fermement commenté en soutien à l’URSS qui ne pouvait jamais s’égarer et se tromper…, signifie l’encerclement du pays en ses frontières ouest et est.

Par un héroïsme qui force le respect mais qui a conduit à une boucherie incommensurable, la cavalerie polonaise, sabres élancés, va combattre les tanks nazis, sachant que la mort se place comme une issue fatale puisque la bravoure ne peut lutter sur la durée face à la technicité des obus ou bombardements incessants.

Rawicz est fait prisonnier par les soviétiques après avoir lutté farouchement contre les nazis…, il est interrogé par les commissaires politiques qui ont scruté sa vie, ses rencontres, ses amitiés, qui l’identifient comme un espion depuis des générations, antisoviétique, car il aurait pu fréquenter des voisins, se rendre en une partie de pêche avec des personnes que les juges rouges ont placées comme idéologiquement impures.

On demande à Rawicz de faire acte de pénitence, de se livrer à son autocritique, de reconnaître ses torts, son statut d’espion.

Avec courage et ténacité, pendant plus d’un an en détention en Ukraine (alors partie prenante de l’URSS), Rawicz refusera de valider tous les interrogatoires qui l’identifient comme espion, voulant garder son minimum de dignité, préférant mourir qu’abdiquer.

Il souffrira des violences, coups de fouet, tortures physiques et morales organisées par des responsables sadiques qui s’acharnent sur lui car il refuse de parler, dire ce qu’ils attendent.

Rawicz sera condamné à vingt cinq années de camp de redressement et d’internement, autant dire que sa déportation en goulag s’apparente à la certitude de la mort, à l’impossibilité de rentrer en contact avec qui que ce soit, encore plus avec les siens.

Rawicz raconte les 4800 kilomètres qu’il arpentera dans des trains repoussants, dans le froid et le gel, au milieu des excréments de ses compagnons d’infortune, au milieu des cadavres qui s’amoncellent, puis ensuite à pied dans des conditions dantesques pendant des semaines dans la neige et le vent.

Il atteindra la Sibérie où l’attend le camp de redressement 303.

Il retrouvera nombre de compatriotes polonais, mais aussi des baltes (lituaniens notamment), des allemands antinazis, toutes les personnes qui ont donné leur cœur et leurs forces pour réfuter l’envahissement de la haine mais que les soviétiques considèrent comme des espions, de dangereuses personnes qui mettraient à mal la pureté russe du dogme idéologique.

Rawicz ne pense nullement à s’évader, tente surtout de survivre en trouvant les moyens d’avoir une paillasse sans trop de poux, de pouvoir se nourrir avec un peu plus de consistance, pour éviter la famine qui ronge et guette, qui fait des ravages dans le camp.

Quand le directeur du camp, sauvage, rude, mais ne connaissant pas le sadisme (ce qui reste une vraie qualité), montrant même que sa fonction en Sibérie n’a pas été un choix pour lui, demande à un des prisonniers qui pourrait réparer sa radio personnelle pour que son épouse puisse écouter de la musique, Rawicz se propose.

Cela va changer le cours de son existence bien dramatique.

L’épouse du directeur du camp semble l’apprécier, Rawicz fait durer le temps de la réparation, comprenant assez vite d’où provient la panne.

Il doit réparer souvent la radio qui montre des signes de faiblesse de contacts des fils, se rend fréquemment dans la maison du directeur.

Pour donner le change et ne pas apparaître comme « un protégé », il vient fréquemment aux rencontres de remise à niveau idéologique, car les soviétiques ne désirent pas seulement punir et sanctionner en goulag, ils veulent aussi que les consciences et âmes reconnaissent le bien fondé des traitements inhumains que l’on fait vivre aux prisonniers.

Cette façon de se rendre à ces rencontres lui laisse un semblant de liberté, ses tortionnaires le considérant comme plus malléable, plus soumis, soit moins dangereux.

L’épouse de la directrice du camp finit par lui dire que son mari sera absent quelques jours, elle lui donne quelques vêtements et nourritures, lui souhaite bonne chance et de ce pas l’incite à s’enfuir.

Rawicz rameute quelques personnes du camp auxquels il fait forte confiance, ensemble ils décident de partir, d’affronter un destin terrifiant, mais moins absolu dans sa détresse que des années de camp qui conduiront à la mort certaine, à l’anéantissement.

Rawicz et ses compagnons franchissent la Lena située au cercle polaire, non loin du camp 303 de détention, de la ville de Yakoutsk.

Ce sera ensuite de longues et rudes marches de nuit (pour éviter de rencontrer qui que ce soit, pour ne pas être dénoncés), en se relayant en veille à tour de rôle, en mangeant des baies, quelquefois en chassant et pêchant à l’artisanale.

On tente entre forêts et montagnes de faire 40 kilomètres de marche par nuit, en prenant soin aussi de repos, de santé des pieds tellement importants, lorsque l’on croise un espace d’eau.

Au lac Baïkal ils poursuivront leur route avec la présence d’une jeune femme, Kristina, elle-même déportée après qu’elle ait vu la mort atroce de ses parents propriétaires terriens lors d’une jacquerie fomentée par les communistes, qui essaie d’échapper à son tortionnaire paysan, qui l’esclavagise au nom du soviétisme rédempteur, qui désire ardemment la violer.

Pendant plusieurs semaines de marche nocturne, d’obligations de prudence, le groupe de prisonniers en fuite poursuit sa route, finit par atteindre les contreforts de la Mongolie, il garde précaution, mais relâche un peu les tensions, considérant que l’hypothèse d’être repris et dénoncés devient moins crédible.

La traversée de la Mongolie s’effectue avec des rencontres enfin sociables, possibles, avec les autochtones, qui partagent leurs couches et repas, permettent aux prisonniers d’enfin manger à leurs faims, de dormir autrement qu’en paillasse de camp ou à la belle étoile.

Mais le désert de Gobi, sans outre d’eau suffisante, les évadés ne pouvant savoir à quel moment une oasis surviendra, déclenche des déraisons, des abattements, Kristina et un compagnon de fuite ne peuvent aller plus loin, victimes d’hallucinations, de maladies de la soif.

Le groupe décimé poursuit cependant sa route tragique, conservant en hommage aux disparus, un espoir de vaincre, il atteint les contreforts de l’Himalaya entre Chine et Tibet avec des ascensions vertigineuses, la lutte contre le froid, mais aussi des rencontres d’appui et de réconfort, même si les autochtones ne croient pas forcément que nos prisonniers évadés – qui se sont passer pour des pénitents – souhaitent se rendre à Lhassa, centre bouddhiste.

Patiemment, avec une marche décrite par Rawicz, qui oscille toujours entre ferveur et abattement, moments de communion et désespérances, le restant du groupe de prisonnier, qui connaît encore une tragédie avec la chute accidentelle en haute montagne d’un des leurs, arrive, après 18 mois d’errance, entre Sibérie et Inde, au bord du Gange, lieu défini par Rawicz pour rentrer en contact avec le consulat britannique.

Les prisonniers survivants américain (qui travailla pour la construction du métro de Moscou, mais qui fut considéré comme espion à la solde capitaliste et transporté en camp), lituanien, polonais décident de rester en contact, mais Rawicz veut continuer le combat pour libérer son pays, il rejoint la Grande-Bretagne et le gouvernement polonais en exil, après avoir vécu une hospitalisation d’un mois, où comme tous ses compagnons il devra endurer cauchemars, fièvres et tensions nerveuses vives, obligeant à un suivi médical majeur pour éviter la folie.

Rawicz ne retrouvera pas sa famille, dont il n’a pas vraiment de nouvelles, ce qui signifie certainement le pire, il vivra en Grande-Bretagne, écrira ce livre témoignage, ode à la force humaine pour conserver sa liberté, son indépendance, son refus des soumissions, descriptif des enfermements soviétiques repoussants, criminels, transmission de cette marche qui peut paraître insensée et illusoire mais qui a permis à un groupe de sortir de l’enfer pour lequel il était condamné.

Comme Sylvain Tesson, qui a accompli, à pied, le même périple, sur les traces des fugitifs et évadés du goulag, pour rendre hommage au destin de survie du groupe, je salue celle et ceux qui ont tout tenté pour dire ce que fut l’enfermement totalitaire, pour sortir, quel qu’en soit le prix, de la destinée promise : mourir par asphyxie au travail en bête de somme, en perdant toute forme d’existence humanisée…

Un livre poignant et majeur !

Éric

Blog Débredinages

A marche forcée

Slavomir Rawicz

Traduit de l’anglais par Éric Chédaille

Libretto : 348

Jerry dans l’île de Jack London

Amie lectrice et ami lecteur, vous savez, en me suivant en ce modeste blog, que je suis un inconditionnel de Jack London.

Qu’il ait récemment reçu la consécration méritée de la bibliothèque de la Pléiade n’est que justice, car son œuvre pénètre aux essentiels des humanités : l’esprit solidaire, créatif, conquérant, la préservation de la nature, le soutien indéfectible à la cause animale, la volonté d’appuyer les plus fragiles en une redistribution des richesses honnête organisée.

Jack London a connu tous les métiers, il fut ouvrier docker, il est à l’origine des premières tentatives d’action syndicale dans le secteur de la construction navale en Californie, il a connu les détresses, déchéances parfois des chômeurs et miséreux, il fut journaliste, écrivain, explorateur, navigateur…

Il décida, douloureusement, de terminer sa vie, en se suicidant en pleine gloire littéraire car, anticipant les déchirantes perceptions d’un Stefan Zweig plus tard, il se dit que ses idéaux sociétaux, libertaires, ne seraient jamais atteints, que son parcours devait s’arrêter là…

En quarante ans d’existence intense il a développé une œuvre magnifiée, propice aux aventures, aux rencontres, à la relation majeure, passionnelle, entre homme et animal.

J’ai retrouvé dans la bibliothèque de la maison familiale de l’Allier où j’ai vécu de 1973 à 1981, un livre de la bibliothèque verte que j’avais acheté au centre commercial Cap 3000 de Saint-Laurent du Var (mon premier centre commercial parcouru, ne sachant pas ce que cela signifiait en mon Allier natal…), en 1974 – j’avais dix ans – que j’ai relu cet été.

Jack London n’a jamais été colonialiste, considérait qu’il convenait de défendre les causes des peuples premiers, reprenant en ce sens les déclamations de Stevenson qu’il vénérait, mais il se sentait libre de décrire aussi les violences de certaines communautés autochtones océaniennes, se livrant parfois à de l’anthropophagie, au cannibalisme, mettant en scène des servilités qui se rapprochaient de l’esclavage honni et banni par l’auteur.

Ce livre décrit ce que London a vu, ne s’embarrasse pas de fioritures.

On pourra y ressentir une certaine défiance pour certains peuples, une perception d’infériorité humaniste en leurs pratiques, mais le livre se veut un témoignage, il ne juge pas, il décrit, se veut égalitariste en montrant ce qu’il y a de plus noble, mais aussi de plus vil, dans chaque civilisation, sans l’once d’une condescendance.

Il est bien qu’un auteur décédé il y a un siècle rappelle que la langue de bois, les aphorismes, deviennent insupportables, qu’il faut dire les choses en acceptant les contradictions, en affirmant ses principes.

Le personnage central de ce livre est un terrier irlandais, nommé Jerry.

Il appartient à un maître, armateur, qui confie l’exploitation de sa flotte à un navigateur, sans trop chercher comment il s’emploie pour optimiser commerces et recettes.

Ce navigateur connaît parfaitement les mers du sud d’Océanie, parcourt toutes les îles pour parlementer avec des chefs de clans à qui il « achète » de la main d’œuvre pour trois ans.

Il ne s’agit pas d’esclavage, mais les chefs de clans reçoivent une dîme, en échange de quoi ils affectent une dizaine de jeunes hommes, qui, pendant trois ans, vont travailler dans les plantations, notamment de canne à sucre, se considérant au service de leurs communautés.

On pourrait considérer qu’il s’agit d’une sorte de service insulaire communautaire, mais London sait parfaitement que ces arrangements maintiennent des castes dans les îles, que les jeunes hommes travaillent sans relâche pendant trois ans en quasi bêtes de somme.

Au bout de trois ans ils sont rendus à leurs communautés.

Le maître de Jerry confie son chien au navigateur.

Le descriptif de London, qui se place dans la tête du chien quand il s’éloigne des quais de son île de naissance, laissant ses parents et son frère de race, constitue un morceau de bravoure littéraire, une ode à l’intelligence animale, à l’amour des chiens.

Jerry sera au service du navigateur, il comprend vite que l’équipage est constitué de personnes qui vont retrouver leurs îles après leurs trois années de labeur, que les arrêts dans les îles auront aussi pour objectifs de ramener d’autres hommes, dans les « négociations » avec les chefs de clan, mais se constitue aussi d’employés du navigateur, seconds de marine en ses activités.

Jerry n’est pas apprécié des hommes de retour dans leurs îles, car identifié comme un chien de maître, il est maltraité en cachette, l’on voudrait même qu’il disparaisse, en une sorte de vengeance.

Lors d’un abordage pacifié en une île, le maître navigateur se rend compte qu’un des chefs de clan désire s’emparer de son navire, se livrer à un combat, il imagine des desseins difficiles.

Au milieu de ces tensions majeures, Jerry vivra mille vies incertaines, prodigieuses de bravoure :

  • Il échappera à une mort promise certaine, en tombant en pleine mer, balancé par des hommes d’équipage mutins, réussissant par ses jappements et maîtrise de la nage à alerter le bateau qu’un drame se trame, à se faire aussi secourir.
  • Il se sauvera des combats entre navigateurs et insulaires, sera prisonnier dans une hutte où l’on conserve trophées objets et « animés », deviendra l’animal fétiche d’un jeune garçon qui le fait échapper, puis d’une sorte de sorcier qui se déchire depuis des lustres avec une famille voisine, qui sait que leurs conflits se traiteront dans le sang à mort, qui utilise Jerry comme une vigie, mais aussi comme un compagnon de route.
  • Il montrera en permanence son courage, sa ténacité, sa vivacité, sa fidélité indéfectible à ses différents maîtres successifs, sa force, sa ruse, par-dessus-tout sa volonté marquée de liberté, d’espaces.

Jack London exprime avec une délicatesse infinie les sentiments plus qu’humanistes d’un chien que l’on voudrait, toutes et tous, avoir pour ami.

Jack London parle en respect des îles du sud qu’il aimait tant parcourir, visiter.

Un livre très attachant !

Éric

Blog Débredinages

Jerry dans l’île

Jack London

Traduction de Maurice Dekobra

Illustrations (somptueuses) d’Henri Dimpre

Hachette – Bibliothèque verte

Collection personnelle de 1974

Alma de J.M.G Le Clézio – Prix Nobel de littérature

Amie lectrice et ami lecteur, je continue de vous narrer mes pérégrinations et « enlivrements » estivaux.

J’ai été subjugué par la lecture d’Alma de Le Clézio, livre magnifique, qui reste prenant quand on en referme la dernière page.

Jérémie vit en Métropole, son père est venu de l’Ile Maurice pour épouser une Anglaise, construire sa vie en Europe.

Il appartient à la famille des Felsen, propriétaires ou exploitants de champs de canne à sucre.

Il connaît peu ses racines Mauriciennes, pourtant elles s’attachent à lui en permanence.

Bien évidemment on repère, entre les lignes, des éléments de vécu dans la genèse de la famille Le Clézio,  pour l’auteur en particulier.

Jérémie décide de retrouver trace de l’ancien quartier d’Alma d’où était originaire son père, totalement déconstruit depuis lors, mangé par les édifications de plus en plus américanisées de centres commerciaux, standardisés, sur-climatisés, voyeuristes dans leurs illuminations incessantes.

L’ancien quartier d’Alma n’existe plus, il est oublié par des décennies d’abandons des demeures des anciens habitants qui se sont affaissées au fur et à mesure de l’écoulement des ans.

Il a été transformé en un nouveau quartier, Maya, symbole de la nouvelle société avide de consommation de futilités.

Jérémie retrouve une vieille dame positive, pétrie de tendresse, qui semble avoir eu le béguin pour son père, qui a donc mal vécu son départ en Europe.

Il croise une ancienne danseuse mutique qui renferme des secrets, peut-être des reproches acerbes sur les plantations de cannes à sucre où la famille de Jérémie s’est investie, sans forcément accompagner les ouvrières et ouvriers de sécurités et de conditions de travail dignes.

Il salue une jeune Mauricienne éclatante de beauté qui rêve, en tapinant, de rencontrer un homme vrai qui la sortira de sa condition de misère locale pour l’amener en Europe.

Mais même un commandant de bord, qui lui promet un avenir radieux, ne respectera sa parole, alors elle continue à vendre ses charmes au milieu des rapines de ses amis de quartier ou de la violence potentielle qui peut surgir à chaque instant.

Mais au moins elle se dit qu’elle peut acheter ce qu’elle veut, se vêtir comme une star, se maquiller à satiété…

En parallèle à ce retour aux sources de Jérémie l’auteur nous dévoile la vie rude de Dominique, dit Dodo, dont le visage a été ravagé par la lèpre transmise lors d’une rencontre d’intimité par une personne qui s’est bien gardée de parler de son mal.

En version Mauricienne d’Elephant Man, Dodo tente de survivre, puisque son tragique handicap le fait douloureusement dénigrer, repousser, connaître les coups, les agressions incessantes de ceux qui le considèrent comme porteurs de maléfices ou de sorcellerie.

Dodo se réfugie dans les cimetières où il se couche sur la tombe de ses ancêtres, en communiant avec eux par la force des esprits, en s’imaginant des évasions autres, en communiquant avec les arbres, en appréciant les nuits à la belle étoile, sans jamais être mis en contrainte par les bruissements de toutes sortes.

Quelques personnes l’aident ou l’appuient, notamment en relais avec les missionnaires qui ne se veulent pas s’affecter de pitiés, qui désirent vraiment l’aider à tenter de vivre le moins mal possible.

La mission permet à Dodo de partir en France où il croisera la route de nombreux vagabonds entre Paris et Nice, en une marche incertaine, avec l’assurance de se prendre en main pour tracer son sillon, sans savoir ce qui adviendra, en évitant les regards ou en prenant en cheminant les sourires qui s’offrent, en recherchant le soleil, la lumière, la mer, les odeurs, parfums qui l’environnent en ses passages.

L’auteur intègre merveilleusement, en sa narration, la réalité de ce que fut cette espèce disparue, totalement décimée par l’homme, notamment par les navigateurs et exploitants de concession néerlandais en l’île Maurice, le fameux dodo.

Cet oiseau avait un cou et un gosier de forces exceptionnelles, renfermant une poche dure comme de la pierre, lui permettant d’ingérer les graines de tambalacoque, difficilement comestibles, permettant aussi lors de ses déjections de faire re-germer la plante.

Le dodo était décrit comme lent alors que l’on sait que dans les champs de canne à sucre il pouvait allègrement dépasser le meilleur humain à la course.

Son corps au plumage bleu gris était pourvu d’ailes atrophiées jaunes et blanches. Ses pattes comportaient quatre doigts. Son bec crochu avait une tache bleue.

Le dodo s’est éteint moins d’un siècle après sa découverte, à la fin du XVIIème siècle avec l’arrivée des Européens.

Il est cité comme l’archétype de l’espèce éteinte car sa disparition est directement imputable à l’activité humaine.

Le père de Jérémie possédait une « sorte de pierre » dans son bureau, Jérémie comprend qu’il s’agissait du goître du dodo, il apprend ainsi que son père l’avait déniché en un secteur marécageux ce qui permit aux scientifiques de faire des fouilles et de reconstituer un squelette. Jérémie conservera « sa pierre » avec hommage.

Dominique, alias Dodo, lépreux, se trouve pourchassé dans son île comme l’animal dodo, avant lui, fut agressé jusqu’à son extinction par les autochtones dits humains.

Dominique, alias Dodo, recherchait le contact et ne fuyait pas à la venue de ceux qui pouvaient ensuite lui faire du mal, comme l’animal dodo ne réfutait jamais la relation avec les hommes, ignorant ce qu’était originellement la prédation.

Il reste de Dominique, alias Dodo, une volonté poétique de vivre en faisant fi des préjugés, des jugements de valeur comme il reste de l’animal dodo un symbole de la bêtise de celles et ceux qui font disparaître le vivant sans même imaginer les conséquences funestes de leurs actes lâches et vils.

Ce livre admirablement écrit et décrit réussit la synthèse de parler de l’indicible, de la perte, des suffisances et orgueils tragiques avec une poésie à chaque phrase.

Ce livre m’a transporté, je sais que je le relirai régulièrement.

Éric

Blog Débredinages

Alma

J.M.G. Le Clézio – Prix Nobel de littérature

Collection Folio 6993, catégorie F7b

Merci à Loïc pour son offrande

Un long voyage de Claire Duvivier

Amie lectrice et ami lecteur, je reprends, après quelques jours de vacances ressourçantes, mes actualités, de retours de lectures, en cet humble blog.

J’ai eu le plaisir de rencontrer à plusieurs fréquences, Claire Duvivier, co-fondatrice de la maison d’éditions Asphalte, au catalogue précieux et riche auquel je puise souvent, et j’avais déjà apprécié ses talents.

En me promenant en une librairie de Saint-Raphaël récemment, j’ai croisé l’édition en livre de poche d’un opus écrit par Claire Duvivier : j’ai immédiatement imaginé qu’il s’agissait de cette éditrice émérite à la recherche inspirée de lectures différentes, ouvertes aux réalités du monde, qu’elle partage avec Estelle Durand, que je salue.

J’ai lu ce livre avec un vrai bonheur, tellement il recouvre de forces, d’intensités imaginaires, de tensions entre créations élevées et tragédies rudes.

Liesse devient « sujet tabou » à la mort de son père.

Sa mère, même si l’esclavage ne fait plus partie des réalités de l’Empire, le fait affecter à un comptoir commercial où il apprend à répondre des missions et exigences que l’on attend de lui, même si son statut particulier, son existence resteront cloîtrées dans l’ombre.

Sans forcément cerner toutes les obligations que l’on attend de lui, sans repérer toutes les subtilités qui environnent son métier, il donne le meilleur de lui-même, devient si ce n’est apprécié, en tous cas protégé et utile.

Lorsque Malvine Zélina de Félarasie prendra les rênes du territoire où Liesse est placé, il observera les qualités d’analyse et d’organisation de celle qu’il sert, particulièrement quand elle comprendra comment structurer de nouveaux espaces portuaires de nature à développer des relations économiques avec d’autres territoires de cet Empire, dont on sait qu’il a connu des vicissitudes et soubresauts mais qui tente de tenir au mieux l’étendue de ses possessions, en respectant les différences de chacune de ses parties, en évitant les émiettements et les sécessions

Quand Malvine lui demandera de devenir son secrétaire, sans que Liesse se soit positionné en ambition, sans non plus ne pas livrer ses réflexions sur ses attentes d’avenir, tout se précipitera et s’orientera entre passions et chaos.

Malvine ne pourra prendre ses fonctions de responsable éminente sur le territoire qu’elle doit régenter, car elle vit des moments incertains et complexes dans ses lieux d’origine, où son frère s’est positionné comme une sorte de moine ermite en réseau de haute montagne.

Personne ne sait exactement ce qu’il s’est passé mais il semble que des tragédies entre catastrophes naturelles et technologiques, en lien avec l’espace et les temps, se soient produites.

Malvine demande à Liesse de faire le dos rond, de tenir aussi longtemps que possible en sa suppléance, pour laquelle nombre de personnes se porte en doute et en critiques.

Liesse ne sait plus quoi dire ou inventer, mais en tant que secrétaire, il arrive à gérer les affaires courantes, à faire conserver la légitimité de sa maîtresse.

Quand Malvine fait enfin son retour, que l’on vérifie sa réelle identité, on sent qu’elle ne se porte plus comme avant, avec sa force incisive et sa volonté perpétuée.

Elle apparaît usée, blasée, intriguée, pétrie de complexités dont elle ne souhaite pas se répandre avec communications ou explications.

Le territoire de Malvine fait l’objet de convoitises, des personnalités armées considèrent que leurs étendues leur appartiennent, elles invoquent le passé, les combats menés depuis des lustres.

Malvine oscille entre négociations, acceptations de pourparlers, assurance de la protection de ses concitoyens, notamment dans les grottes qui jouxtent les contreforts escarpés de la ville principale.

Le tragique survient, des massacres se succèdent.

Liesse fait tout pour protéger son fils et sa fille, lui qui a fondé une famille, qui a rencontré l’amour.

Le désespoir l’accompagnera après les tueries dévastatrices qui le toucheront en son sein le plus direct, mais il se reprendra en acceptant toute sorte de mission ou métier pour subvenir aux besoins de sa famille.

Il entretiendra toujours des liens avec les personnalités qui l’ont connu dans ses anciennes fonctions administratives ou officielles, même si l’Empire semble recevoir des coups fatals, que son existence se sent menacée en récurrences.

Le livre est narré par Liesse qui se confie à Gémétous, à qui il raconte toute son histoire, ses péripéties traversées, ses espoirs, ses joies, mais aussi ses incertitudes ou drames.

On essaiera toujours en lisant de repérer si les territoires magnifiés par les descriptions toujours ciselées de l’auteure, se rapprochent de réalités terrestres, mais il vaut mieux se laisser bercer par les transcriptions, laisser libre cours à la liberté imaginative et contemplative, plutôt que de tenter un rationnel vain, certainement aussi inefficace qu’inutile.

Claire Duvivier nous met en haleine pour connaître la suite des évènements, comme des tribulations, elle nous aiguise en permanence à affûter nos regards pour comprendre que tout n’est pas forcément scientifique, que les forces des songes et de l’esprit peuvent aussi agir à leur guise, qu’il convient de se laisser déambuler, promener, par les choses vues et décrites, en se glissant dans une lecture onirique, réflexive, porteuse.

Claire Duvivier associe à ses talents de dénicheuse littéraire de pépites livresques un élan d’auteure de vive qualité, d’écriture exigeante pour construire une histoire de haute facture.

Merci Claire pour cet opus que je vais offrir fréquemment en mes modestes réseaux.

Amitiés vives, chère Claire et bravo, vraiment !

Éric

Blog Débredinages

Un long voyage

Claire Duvivier

Le livre de poche, 36467

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