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débredinages – "s'enrichir par la différence !"

Mois

décembre 2019

L’Ami Fritz d’Erckmann-Chatrian

 

Emile Erckmann et Alexandre Chatrian ont écrit à deux plumes, du collectif de leurs deux noms collés, qui fait parfois oublier la spécificité de leur aventure littéraire, comme le développèrent, après eux, Boileau et Narcejac, notamment.

Leur livre de référence, L’Ami Fritz, peut sembler daté et un peu emprunté et convenu, tant dans le style de narration, où l’on sent toute la réalité des classes sociales divisées très clairement pour « le bon fonctionnement du Monde » et où chacun se cantonne en la part qui lui revient, sans jamais remettre en cause ou ordre tout ce qui pourrait donner lieu à une meilleure redistribution sociale, que dans la présence de certains personnages, adonnés aux rentes, et qui peuvent bien vivre, sans jamais travailler…

Fritz Kobus est, ce que l’on pourrait appeler, un bon vivant ; il aime faire ripailles, il apprécie boire du bon vin et de la bonne bière, se lever quand il en a envie, se laisser vivre par les relais appliqués d’une domestique à son service, comme elle le fut aussi pour son père, et qui passe son temps libre, forcément conséquent, à imaginer comment utiliser au mieux de ses investissements l’argent qu’il possède, dont un héritage cossu lui permet de profiter sans avoir besoin de gagner autrement sa vie.

Il apprécie se quereller, avec affection, mais en pouvant tout lui dire en direct, avec le Rabbin Sichel, confident et conseiller de la famille et qui n’imagine pas que Fritz puisse rester éternellement célibataire.

Fritz se sent bien, seul, et considère le mariage comme une perte définitive de liberté et un abandon de ses choix de vie, qui peuvent être critiqués, mais qu’il assume avec le plaisir absolu de celui qui a eu de la chance et qui veut s’employer à la faire perpétuer.

Il parie une superficie de ses propres vignes, les plus recherchées en qualité, avec le Rabbin, en déclarant que s’il se mariait (ce que Fritz ne peut imaginer un instant comme une réalité possible), les vignes partiraient en propriété au Rabbin, qui lui est persuadé, tout au contraire, que Fritz prendra femme, parce que tel est l’ordre des choses et parce qu’il le désire.

Le livre s’offre quatre visions de la Bavière du XIXème siècle, ce qui permet aussi à Emile Erckmann et Alexandre Chatrian de placer en filigrane les Provinces perdues Alsaciennes dans leurs entrefilets, qui pourraient bien s’apparenter à cette Bavière décrite, à la manière de Montesquieu qui parlait de la Perse, dans ses célébrissimes Lettres, pour mieux fustiger les indigences du Royaume de France, à l’abri relatif des censures… On trouve ainsi :

  • une vision de panorama, avec des petites villes centrées sur l’église et la culture des champs, sur la nécessité de donner ardeur pour assurer des récoltes suffisantes et qualitatives et où le labeur fini, les hommes (les femmes sont reléguées en l’ouvrage en une place bien médiocre et sans relief…) se retrouvent au bar. Seul moment de communion des deux sexes, les fêtes de village, où l’on prend le plaisir d’une danse pour donner de la joie en une vie assez repliée et monotone, mais pour laquelle on se ne plaindra jamais…
  • une vision d’organisation sociale rythmée par de longs chapitres sur la récolte des impôts et sur l’importance des propriétaires qui savent en permanence ce qui est bel et bon pour leurs gens des villages attenants, et qui structurent les paysages pour que chacun puisse avoir ce qu’il lui revient, en s’assurant cependant que les demandes ne dépassent pas les bornes établies depuis des successions de générations…
  • une vision sur les dogmes établis, qu’ils soient liés à la place limitée de la femme, à la soumission docile des exploitants de fermage pour le compte du maître, à l’acceptation d’un antisémitisme larvé, et qui se voudrait cependant acceptable et bon enfant, et sur le choix décidé par les édiles de qui doit se marier avec qui, sans demander consentement aux intéressées et intéressés…
  • une vision de l’amour, qui, dans le roman, semble la seule concession volontaire pour sortir des contemplations naïves et validées des habitudes et accoutumances…, qui permettra à Fritz, d’un âge déjà de bel élan, de fréquenter la toute jeune Suzel qui associe charmes, délicatesses et finesse. Cette vision là permet de pouvoir marquer une différence avec les principes édictés, qui veulent que les gens du Monde ne peuvent convoiter des personnes du Peuple et que les âges de raison ne peuvent convoler avec des âges moins élevés…

Ce livre se lit comme un rappel des peintures d’authenticité de personnages truculents, parfois caricaturaux et sarcastiques, mais vivants et marquants, comme un souvenir aussi des chaleurs des rencontres en villages autour de tables riches et roboratives et comme une succession d’images des mœurs et coutumes de la vieille Bavière, ou de la vieille Alsace…

Un livre à lire avant d’arpenter les pentes du Haut-Koenigsbourg et de revoir La Grande Illusion de Jean Renoir, tourné sur place, alors que les bruits de botte retentissaient à proximité, et que le film narrait la fin d’un Monde aristocratique, sur fond de Grande Guerre et de prise et reprise du fort de Douaumont, à Verdun…

Eric

Blog Débredinages

 

L’ami Fritz 

Erckmann-Chatrian

Collection de la Bibliothèque Verte, retrouvable chez les meilleurs bouquinistes, et notamment chez celui proche de la Gare de Saint-Raphaël, où je l’ai re-déniché récemment.

L’Art brut, l’instinct créateur de Laurent Danchin

 

« La vraie création ne prend pas souci d’être ou de n’être pas de l’art » clamait Jean Dubuffet, qui a inventé la notion d’art brut, en 1945, et a constitué la première collection d’œuvres désignées sous ce nom.

Il s’agissait d’une reconnaissance dédiée à celles et ceux qui ont vécu pour structurer, souvent avec des moyens dérisoires ou avec ce qui leur tombait sous la main, leurs imaginaires, pour donner corps et cœur à leurs volontés de création éperdue, qui ne pouvait que s’assouvir, sous peine de désespérance ou de déchirure douloureuse ou dépressive.

Et pourtant que de sarcasmes ont pu être délivrés à leur attention, de la part des autorités officielles académiques et souvent d’artistes plus ou moins installés, eux-mêmes, qui réfutaient que l’on puisse créer ou s’affecter de l’art, si les codes canons n’étaient pas respectés, ou si la connaissance des gestes n’avait pas fait l’objet d’initiations suffisantes…

Au départ, sous l’analyse de psychiatres, et notamment de Cesare Lombroso, le génie créatif pouvait être associé à une forme assumée de dégénérescence ; plus le sujet devenait compulsif dans sa création, plus sa dégénérescence repérée s’appliquait.

Cette théorie très contestable a d’ailleurs été reprise, pour être dévoyée ensuite, par tous les totalitarismes, et notamment par les Nazis, qui ont affecté à tous les laudateurs de l’art moderne, et encore plus de l’art brut,  l’insulte d’art dégénéré.

Maxime Du Camp, ami de Flaubert, s’intéressa de manière objective à ce qu’il était convenu d’appeler « l’art des fous » et il s’attacha à analyser les productions créatives de personnes aliénées qui continuaient à produire leurs œuvres, même en internement.

Mais sous l’impulsion d’un médecin Allemand, Walter Morgenthaler, surgit le premier aliéné reconnu comme artiste à part entière et qui fut consacré par Dubuffet ; il s’agit d’Adolf Wölfli ; interné pour agression sur une petite fille, persuadé de recevoir des voix et des appels de l’au-delà, persécuté par des crises récurrentes d’épilepsie et des hallucinations, et qui laissera 25 000 dessins et images s’intégrant en une sorte d’autobiographie personnelle et épique.

Adolf Wölfli

En 1937 est organisée la sinistre exposition de l’ »Entartete Kunst » (art dégénéré) où les théories scientistes et eugénistes rassemblent des propositions sur la nécessité d’épuration et de stigmatisation, voire de violence, contre celles et ceux qui prétendraient au statut d’artiste, alors qu’ils ne seraient que des malades qui mériteraient de disparaître…

A la Libération, Dubuffet aborde l’art des fous, qu’il avait d’abord mis en perspective avec les Surréalistes, et notamment Eluard et Breton, mais il poursuit seul sa quête, en retrouvant les influences de créateurs internés ou incarcérés, parfois aussi spirites, médiums ou autodidactes (Antonin Artaud fait partie du lot) et contribue ainsi à la reconnaissance de ce qu’il appelle et définit : l’art brut.

Dubuffet considère l’art brut comme une forme inconsciente d’elle-même, que l’on peut retrouver chez des personnes internées, considérées comme en proie à de possibles démences, même à temps partiel (le terme de bipolaire n’est pas encore usité), ou chez des marginaux visionnaires qui étendent le champ des connaissances artistiques.

Dubuffet repère l’art brut comme quelque chose qui doit d’abord fasciner et qui permet la libre création, sans le conditionnement de tous les codes culturels, sans la déformation des expressions et habitudes des savoirs.

Il crée la compagnie de l’Art brut, à la même époque où il soutient Céline en exil, à qui il reconnaît le renouvellement de l’écriture et la composition d’une œuvre qui ne cherche pas à plaire ou complaire et qui fait de la langue parlée un art littéraire. Je ne suis pas objectif, je sais, et en tant que Célinien assumé, j’aime à imaginer Céline se faire définir par Dubuffet comme un littérateur d’art brut ; je suis persuadé que le reclus de Meudon aurait apprécié…

Dubuffet prend plusieurs sources, comme d’abord l’art asilaire, avec Wölfli en première place et la Suissesse institutrice pacifiste Aloïse, qui récupérait du papier toilette pour dessiner recto verso des dessins de forte expression et qui mourra de chagrin, victime d’une thérapeute qui voulait régenter son unique espace de liberté…

Aloïse

Dubuffet poursuit avec l’art dit médiumnique, au carrefour entrelacé du graphisme et de l’écriture, du dessin et de la figuration.

On pense aux toiles en format géant d’Augustin Lesage, organisée en bandeaux géométrisés, lui qui assurait être la réincarnation de peintres de l’époque des dynasties des civilisations Egyptiennes.

Augustin Lesage

On pense aussi à Gaston Chaissac qui voulait imiter Picasso et qui aimait assembler, plus par dénuement que par provocation, des éléments hétéroclites et travaillait sur des serpillières, des omoplates de bovin et utilisait de la bouse de vache.

Pour Dubuffet l’art brut ne peut être considéré comme les polémistes de son époque, souvent sarcastiques et caricaturaux, comme de l’art primitif, mais bien comme de l’art élémentaire, exécuté de manière sommaire, souvent avec maladresse, avec des matériaux rudimentaires, car l’on prend ce que l’on a sous la main, mais qui touche, émeut, et qui surtout s’intègre, pour son créateur, comme son centre de vie, sa volonté priorisée de donner sens à son existence.

Dubuffet, incompris sur Paris, crée un musée dédié à l’Art brut, sur Lausanne, qui fait encore et plus que jamais référence internationalement, aujourd’hui.

Les années 70 voient s’éclore de mini musées de ce que l’on appelle l’Outsider Art, l’art qui vient de ce qui n’est pas placé dans les canaux officiels et des codes culturels, souvent associés au bon goût, délimité par une intelligentsia de la connaissance artistique.

On retrouve, avec l’Outsider art, l’influence d’Alain Bourbonnais et ses installations de Dicy dans l’Yonne, la reconnaissance des rochers sculptés proches de Saint-Malo par l’Abbé Fouré et l’intégration, grâce à Malraux, contre l’avis de toutes les personnalités reconnues des monuments historiques, du Palais Idéal du Facteur Cheval d’Hauterives dans la Drôme, symbole d’un travail besogneux, rude, et d’une élévation prodigieuse de quelqu’un qui voulait créer un Palais pour sa fille, Alice, qui représenterait sa perception de toutes les beautés du Monde, qu’il annotait en permanence, en lisant les pages de l’Illustration et dont il modèlera les faces pendant un travail inlassable et indépassable de plus de trente ans…

On pense aussi aux créations de Robert Tatin en Mayenne ou au manège de Petit-Pierre sur Orléans.

Dans la dernière décennie du XXème siècle l’Art brut s’exporte, notamment aux Etats-Unis, et New-York devient le carrefour international de sa commercialisation, lui donnant une reconnaissance marchande qui pourrait lui faire perdre ses âmes de spontanéité et sa candeur originelle.

Le black folk art et sa dimension religieuse, les environnements surréels et pénétrants des tours de Watts en Californie, le parcours psychiatrique retrouvé, avec une création artistique flamboyante et inassouvie de Martin Ramirez, ont permis de refaire découvrir des talents et des inspirations, mais ont donné lieu aussi à une sorte de foire mondiale de l’Outsider Art, pas forcément en calage avec la conception initiale de l’Art brut et sa modeste volonté de montrer la création hors codes et conventions.

Aujourd’hui il faut protéger les nouveaux auteurs ou les auteurs que l’on redécouvre, en n’oubliant pas que leur geste s’apparente à une forme de sacralisation faite d’ascèse et de pénétration totale, pour produire de la création et se dire que l’on a ainsi pu créer, avec ou sans l’assentiment ou la reconnaissance de l’autre.

Et je laisse la mot de la fin à Aloïse, dont le parcours m’a déchiré et dont cette citation ne cesse de m’ébranler et de me faire réfléchir en boucle : « si on observe la vie rationnelle, on devient aveugle avec la vie nocturne ».

Un livre pédagogique, richement illustré et parfait pour une initiation à l’Art brut, pour celles et ceux, qui comme vous, Amie Lectrice et Ami Lecteur, réfutent que l’on vous dise ce qui est beau et bien et qui souhaitez, en permanence, que votre libre arbitre soit seul votre ligne de conduite, surtout pour observer et analyser les créations.

Eric

Blog Débredinages

 

L’Art Brut

Laurent Danchin

Collection Découvertes Gallimard : qu’est ce que je regrette que cette belle collection ait été arrêtée, elle reste pour moi une réussite et un condensé d’intelligence et d’esthétique, sur tout un tas de sujets, en intensité.

L’Outil et les Papillons de Dmitri Lipskerov

Attention Chef d’œuvre !

Amie Lectrice et Ami Lecteur, j’ai pris un plaisir avide et palpitant à lire ce livre, totalement déjanté, décalé à souhait et irrésistiblement inclassable, écrit avec un style virevoltant et une tonicité décapante.

Arseni Andréiévitch Iratov gagne plus que fortement bien sa vie, il est devenu architecte, un peu par hasard, en reprenant pour lui des plans réalisés par son Père, d’inspiration futuriste ; il a échafaudé bien des combines, a participé sans complexe à de nombreux trafics, en cette période de fin de règne de feu l’Union Soviétique et de reprise en main autoritaire des oligarques qui oublieraient de respecter le pouvoir des nouveaux Tsars de Russie…, il vit une sexualité débridée et aime marquer sa force et sa réussite financière en étalant son argent et ses possessions.

Un jour il constate qu’il n’a plus de sexe, que son attribut n’existe plus, qu’il a bel et bien disparu. Il consulte un de ses amis médecins, qui imagine une potentielle prothèse lui permettant de donner le change, notamment avec sa compagne du moment, qui aimerait bien un enfant de lui et qui l’affectionne de toutes ses tendresses, même s’il met un point d’honneur à vivre seul au rez de chaussée et à solliciter le premier étage pour son aimée, car son indépendance personnelle se voit solidement indépassable et indiscutable…

Surgit à des centaines de kilomètres du Moscou où vit Arseni, une sorte de gnome – concrètement un homoncule – reprenant les réalités de l’attribut perdu et qui se transforme en jeune homme à la beauté magnifiée. Le gnome est récupéré, recueilli, par la jeune Alissa, scolarisée mais en intérêt très ponctuel pour les études, qui doit affronter toutes les intempéries pour faire le chemin entre école et maison familiale, en utilisant le char d’un paysan de voisinage, le plus souvent entreprenant et mal famé, ivre en permanence… La jeune fille retrouve sa grand-mère, pas particulièrement portée sur l’ouverture d’esprit et le solidaire, qui la rabroue sans ménagement, mais Alissa peut aussi répondre avec force désinvolture à son aïeule…

Le gnome initie Alissa aux essentialités des découvertes personnelles, si l’on me permet cette sorte de parabole digressive, mais avec déception pour la jeune fille, étant devenu jeune homme saisissant rapidement, l’homoncule prend le chemin pour la Grande Ville, pour vivre ses propres aventures.

Ces éléments posés, l’auteur nous entraîne en un tourbillon magistral, souvent improbable, inventif et saisissant de ferveurs, tensions, incohérences et boulimies de farces, qui enchante et aiguise nos appétits, en nous faisant à la fois tordre de rire, mais aussi en y entremêlant la nécessité d’une prise de recul sur nos actualités, sur les rapports humains contemporains, où les machinations, manipulations, hypocrisies et lâchetés se forgent de manière récurrente un vrai premier rôle.

L’auteur aime le truculent et notamment des parties de jambes en l’air, avec souvent multi partenaires assumés, qui assure à Arseni (quand il est équipé…) ou à son double essentiel, si je peux m’exprimer ainsi, une ferveur marquée, appréciée surtout pour le physique de performance.

L’auteur démontre que tout est fiché et référencé et que la relation – fusse-t-elle intime – ne résiste à aucune forme de sentimentalisme quand les inspections des services analysent la façon dont les personnes s’inclinent ou pas par rapport aux dogmes édictés par toutes les autorités…

L’auteur aime évoquer la chose militaire et la vie en caserne, où les autorités par grades veulent conserver intacte leur force hiérarchisée, souvent au seul bénéfice de quelques privilégiés, en ignorance totale de la masse soldatesque.

L’auteur aime parler des commémorations ou vénérations, notamment en jardins de tombes, proches des églises orthodoxes, endroits qui peuvent être autant des pèlerinages ou des recueillements que des lieux de rencontre sournois, propices à toutes les malversations ou à l’imagination coupable et malfaisante.

L’auteur aime parler des magasins où l’on ne paye qu’en devises, et pas en roubles, où les clientèles sont triées sur le volet, surveillées et espionnées, où l’on trouve tout ce qui n’est pas découvrable ou cernable ailleurs, ce qui accentue les privilèges et rentes, étalés de la fin de la Nomenklatura aux inspirations Mafieuses contemporaines.

L’auteur, surtout, devient exceptionnel dans sa narration quand il met en place la rencontre, que la lectrice ou le lecteur attend pour son plus fort ravissement, entre Iratov et l’homoncule devenu jeune homme, double direct d’Iratov, où s’agglutinent toutes les possibilités : combat entre la jeunesse et la vie plus expérimentée, dualité sur la compagne d’Iratov qui retrouve avec l’homoncule – devenu beauté masculine incandescente – ce qu’elle a oublié de son Chéri initial…, explosion des réalités familiales, nécessités de faire les bilans de vie en n’omettant pas les erreurs et errements et en ne fuyant pas les responsabilités sachant que le jeune arrivant peut tout faire remémorer au vieil en puissance… et agrément de totalités de personnages dithyrambiques, drolatiques à souhait, et notamment la présence d’un coiffeur Grec, bien silencieux, mais pouvant se placer comme un réel et bel allumé…

Ce livre est pour moi un vrai coup de cœur et représente ce que j’affectionne plus que fortement dans la littérature : le plaisir d’une histoire ciselée et dynamisante, la profondeur d’une réflexion sociétale, la critique des convenances et des éléments parvenus et la présence omnipotente d’un humour sans concession et sauvage.

Là, en ce livre, j’ai été plus que servi.

Je vous invite à acheter ce livre pour les fêtes, à l’offrir pour vos vraies amies et vrais amis, celles et ceux qui savent rire d’un rire de qualité, exigeant et salvateur et qui apprécient la littérature intelligente et différente.

Merci, encore une fois, à Nadège Agullo et son équipe, pour son travail investi permettant de dénicher de telles pépites.

Éric

Blog Débredinages

 

L’Outil et les Papillons

Dmitri Lipskerov

Agullo Fiction

Agullo Éditions

Traduit du russe (bravo émérite encore à elle) par Raphaëlle Pache

22€

 

Ramuntcho de Pierre Loti

Lire Pierre Loti me ramène toujours aux découvertes, aux aventures, aux voyages, aux exaltations des sens.

Je l’avais lu en promenade, en les temples d’Angkor, en 2014 ; et il fut surtout un des rares occidentaux à raconter son passage en l’Ile de Pâques, avec une volonté marquée de tisser liens avec les autochtones et cerner les mystères des moais qui l’ont transporté, malgré une halte en Pacifique Sud, très courte…

J’ai eu le bonheur de pouvoir passer une semaine en cette île exceptionnelle, en 2008 ; et dans le petit musée d’Hanga-Roa, on peut dénicher le récit de Pierre Loti, en une édition locale, ce qui prouve que les Pascuans savent reconnaître celui qui s’est incliné face à la grandeur d’une civilisation inconnue et qui s’est considéré comme redevable et enrichi des différences, plutôt que se positionner comme un conquérant potentiel…

Ayant, pour raisons de santé (oui, Amie Lectrice et Ami Lecteur, cela fait un petit mois que vous ne me repérez plus en ce modeste blog…), été obligé à une convalescence d’ascèse, j’ai décidé de suivre les pas de Pierre Loti qui utilisait toujours les moments de contrainte personnelle pour écrire, réfléchir, raconter et lire…

Je me suis replongé dans la lecture de Ramuntcho, histoire vive et pénétrée de traditions colorées et qui fait que le héros éponyme symbolise, depuis plus d’un siècle, le Pays Basque, comme Tartarin la Provence…

Le fond de l’histoire peut sembler un brin désuet et vieillot, quoique ses réalités soient toujours effectives en de nombreux endroits de la planète, mais le style de l’auteur reste percutant, majeur et marquant, avec un flamboiement ciselé dans la narration de la nature et des escapades, qui contribue à ce que l’on s’imagine aisément suivre les pas des protagonistes, et une assurance récurrente dans la lecture, avec une langue magnifiée où chaque phrase devient un essor de théâtralité et de fougue, qui transporte.

Ramuntcho vit dans la Montagne du Pays-Basque, avec sa Maman, qui a réussi, à force de sagacité et d’abnégation, à racheter sa maison de famille et pouvoir ainsi montrer sa tête haute et fière, de celle qui possède son toit, au milieu d’un village où les secrets enfouis, les querelles intestines vivaces et transmises de génération en génération, ont toujours tendance à s’agglutiner. On ne sait que peu de chose sur le Père, mais il est patent qu’il n’est plus là.

Ramuntcho travaille comme contrebandier, entre douanes françaises et espagnoles et arpente toutes les nuits des sentiers compliqués, des pentes dangereuses, pour transporter de la marchandise et développer un réseau d’affaires parallèles, pour le compte de la palanquée qui lui a accordé sa confiance.

On réclame le silence, la discrétion, parfois l’on doit aussi endurer des tensions et coups de violence, mais être contrebandier au Pays Basque s’affecte comme une mission ancestrale, reconnue, et même valorisée, par le courage qu’elle nécessite, avec des dangers incessants de coup de chaud avec les autorités.

Ramuntcho retrouve surtout sa liberté, son indépendance, sa capacité à s’exprimer en jouant à la pelote Basque et il est apprécié fortement, car il sait virevolter, danser, sauter, faire preuve d’agilités pour exercer son art de la récupération et faire gagner son équipe.

Il aime ce moment intense sportif et artistique, surtout quand il est contemplé par Gatchutcha, sa promise, son élue, qu’il n’imagine pas autrement que future femme de sa vie…

Mais la mère de Gatchutcha n’a que du mépris pour la famille de Ramuntcho, à la fois pour des critères de classe (Ramuntcho ne possède rien ou presque) et par accumulations d’histoires, dont l’on ne connaîtra jamais la réalité effective, mais qui constituent une chape d’acier implacable, rendant impossible tout lien commun.

Les deux amoureux se rencontrent en cachette, se croisent au jeu de pelote, se font des promesses langoureuses et positives, mais ne dépassent jamais les champs de la camaraderie, car il est nécessaire, obligé et même impératif que l’on respecte scrupuleusement la soumission parentale.

Gatchutcha demande à Ramuntcho de prendre la nationalité Française, ce qui l’élèvera positivement pour l’appréciation de la famille de la jeune femme – ce sera déjà un premier pas – et Ramuntcho en prend acte, même si cette décision lui coûte car elle entraîne trois ans de service militaire et un éloignement du Pays Basque pendant la même période, laissant sa Maman esseulée, sa fiancée abandonnée et la clôture de ses retours financiers de contrebande qui apportaient le juste suffisant au logis.

Pendant ces funestes trois ans où Ramuntcho naviguera sur les mers, la mère de Gatchutcha présentera sa fille à un meilleur parti, que cette dernière refusera, par fidélité à son serment pour celui qu’elle aime, et elle sera donc transférée, sans vergogne, en un couvent…

Ramuntcho consacrera, à son retour, toute son énergie pour tenter de retrouver, et même d’enlever celle qu’il aime, mais le poids des certitudes, des traditions compactées et la force du religieux local l’obligeront à un autre choix, celui du départ et de l’exil, sa Maman venant, de plus, de rendre son dernier soupir.

Pierre Loti sait parler de la religion ; il aime les cérémoniaux d’encens et de chant, il apprécie la communion pour saluer une certaine force des esprits, mais il sait critiquer les intolérances, les morbidités et les enfermements vils de personnes sous influence ou sous contrainte qui détruisent des âmes.

Pierre Loti sait aussi signifier son respect pour l’ensemble des habitants qui considéreront qu’il vaut mieux s’échapper ou se placer en contrition plutôt que de tenter une certaine sorte de blasphème en voulant s’attaquer aux bigoteries et aux sacrements.

Pierre Loti sait que l’amour s’affiche comme l’essentialité de l’essor des âmes mais qu’il peut provoquer des douleurs indicibles dont les plaies peuvent ne jamais se refermer.

Et Pierre Loti sait rendre hommage à celles et ceux qui font vivre les fêtes de villages, les costumes chamarrés, les dynamiques collectives, comme on dit de nos jours, comme ces élévations par la pelote Basque ; il sait conter la beauté sauvage de paysages, que seuls les initiés connaissent, et qui renferment à la fois des désirs non assouvis, des déceptions réelles, des rancunes tenaces et des possibilités de conquête ou d’aventures uniques.

Un livre qu’il convient de relire avant de retrouver une promenade future en Euskadi.

Éric

Blog Débredinages

Ramuntcho

Pierre Loti

Livre retrouvé dans ma collection de livres dits de jeunesse, en bibliothèque verte, reliée par Brodard et Taupin, bien évidemment ; toute une époque…

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