Amie Lectrice et Ami Lecteur, cet humble blog s’attache à vous faire retour de mes lectures diverses et de mes « enlivrements », si vous me permettez cette osée création de mot qui sent, un brin, le barbarisme, mais qui résume les saveurs de mes promenades littéraires, qui ne se veulent jamais fades, étiolées ou aseptisées…

Ce jour j’ai décidé de faire une exception et de vous livrer, de manière crue et directe, mes convictions, sur les nouveaux aphorismes inquiétants du moment.

Le regretté Guy Bedos disait qu’à force que l’on parle des sourds comme des mal-entendants et des aveugles comme des mal voyants, on allait bientôt désigner « les cons » sous le vocable de mal-comprenants…

Aujourd’hui trois tendances m’effraient, m’insupportent, me font pousser ces coups de gueule  : la propension à la « cancel culture » ou « culture de l’effacement », la mémoire reconstituée à l’aune de nos perceptions et connaissances d’aujourd’hui, et la vile lâcheté vécue face à la nécessaire irrévérence qui doit continuer à réfuter toute forme de sacralisation, même si Desproges nous rappelle que « rire de tout ne se fera jamais avec n’importe qui »…

Premier coup de gueule contre « La cancel culture » ou « culture de l’effacement », qui s’intègre aujourd’hui aussi bien en entreprise que sur le plan sociétal.

Quand une personne déclare quelque chose qui n’appartient pas à la repérée « bien pensance », on se doit de l’invectiver, de la placer au pilori des opinions, mais surtout on doit tout faire pour qu’elle n’existe plus ou que son existence soit mise à mal, si possible rapidement oubliée.

Quand on s’appelle J.K. Rowling et que l’on émet une critique sur la communication « non genrée » ou que l’on s’appelle Salman Rushdie, pour lequel une fatwa a été émise, depuis plus de trente ans, réclamant sa mort pour la publication des Versets Sataniques, qui a soutenu l’auteure Écossaise soumise à une vindicte scandaleuse l’assimilant à une homophobe, allant jusqu’à permettre à certains membres de maisons d’édition – qui ont pourtant bien profité de sa notoriété et de ses ventes de la saga Harry Potter – de décider de ne plus travailler avec elle ou de marquer leurs réserves relationnelles, les choses semblent plus aisées pour combattre et réfuter ce qui advient en trombes, car ils ont possibilité de demander assistance à des juristes et avocats, d’user de leur œuvre pour assumer leurs propos et rétablir les balances des équilibres.

Mais un ouvrier qui sera dénoncé pour des propos mal cernés ou compris sur son lieu de travail, un salarié qui aura émis une différence de vue lors de sa pause à la machine à café, se verra vilipendé, mis à bas, et se trouvera rapidement exilé, oublié, placé sur la touche, avec la volonté qu’il comprenne de lui-même qu’il doit partir, démissionner, ne plus faire partie du groupe qui s’est auto-défini et a cadré ses propres limites.

L’on peut considérer, sans contrainte (et je suis de ceux là, sans proclamer détenir la vérité, car je crois à la vérité plurielle, au sens du débat construit), que l’existence de Dieu nous est doutée et que les religions ne constituent pas forcément une voie de paix (de l’Inquisition aux attentats islamistes, la pacification demeure bien aléatoire…), sans pour cela être taxé d’irrévérencieux, d’intolérant ou de calomniateur.

L’on peut déclarer, sans difficulté (et là aussi, je suis de ceux là) que la nécessaire concorde citoyenne, l’entraide et la solidarité face aux personnes qui arrivent sur nos territoires en migration (jamais choisie par plaisir, car tout déracinement se vit comme un déchirement), nécessite appui, compassion et accueil, sans pour cela être regardé comme un anti-patriote qui se positionnerait pour un repli communautariste, au moyen que celles et ceux qui demandent à venir sur notre sol seraient des mercenaires du repli sur soi et de l’obscurantisme…

Se placer en ces débats et assumer ces propos, que l’on peut légitimement critiquer, signifie à brève échéance que l’on sera ostracisé, renvoyé, par des messages assassins, au bûcher des obligations de penser la vérité unique, avec l’assurance que vous serez déclaré comme effacé et disparu des codes et réseaux sociaux, car ne faisant plus partie de la sphère élue et reconnue.

Ce système est utilisé aussi, sans vergogne, en des entreprises ou organisations, sciemment, en management, pour ne plus faire référence à d’anciens collaborateurs ou d’anciens engagés au sein de leurs structures, car leurs comportements, leurs agissements, leurs méthodes de travail ou de réflexion ne conviennent plus ou ne conviendraient plus.

Cette reconnaissance, qui  institue la malveillance, repose sur  la donnée rapportée que tout membre repéré doit devenir oublié, effacé, disparu.

Ce qu’il a fait, ce qu’il n’a pas fait, ce qu’il a mal fait n’a pas d’importance, puisqu’il n’existe plus !

Ce système reprend totalement la vieille lune totalitaire soviétique qui faisait que des personnes bannies par le régime n’apparaissaient plus sur d’anciennes photographies, considérées comme n’ayant jamais existées.

Deuxième coup de gueule contre la reconstitution de la mémoire.

La mémoire nécessite de replonger dans l’Histoire, de la décrire et de l’analyser, non à l’aune de nos connaissances actuelles, mais au regard de celles existantes à l’époque.

Oui Voltaire a investi dans le commerce triangulaire et n’a pas réfuté toutes les clauses du sinistre Code Noir.

Mais Voltaire a fait avancer les libertés de penser et a pris position pour l’absence de discrimination religieuse, contre les arbitraires de la loi et des justices aux ordres établis.

De Candide,  avec la condamnation des fanatismes,  à L’ Affaire Calas, il s’est érigé comme modèle de courage et de vertu face aux féodalités et aux soumissions.

Alors déboulonner Voltaire serait à la fois crétin, inconséquent et injuste.

Oui Victor Hugo, comme Jules Verne, peuvent employer des phrases et mots dans leurs œuvres signifiant que le Noir ou le « Nègre » (comme il était nommé souvent au XIXème siècle…) pourrait se grandir en fréquentant la civilisation Européenne, et l’on peut totalement y repérer une sorte de « paternalo-colonialisme »…

Mais il reste qu’Hugo a milité pour l’éducation obligatoire pour lutter conte la misère, qu’il a tout fait pour que l’abolition de la peine de mort s’intègre dans les idéaux républicains (il est mort en 1885, et la peine de mort a été abolie en France, en 1981…) et de Claude Gueux aux Derniers Jours d’un condamné, tous les humanistes puiseront des ressorts permanents.

Jules Verne est devenu conseiller municipal socialiste d’Amiens et a toujours fait en sorte que la formation et la culture soient ouvertes au plus grand nombre, et pas à une caste

Alors déboulonner Jules Verne et Victor Hugo signifieraient que les écrivains attentifs au mieux-être et au meilleur partage du monde ne recevraient que l’opprobre de phrases pensées en des contextes datés. Ce serait injuste et inimaginable.

Oui à la présence d’avertissements au lecteur, l’engageant à exercer son libre arbitre et son esprit critique, face à des réalités ou des propos qui peuvent choquer.

Oui à l’annotation dans les villes qui ont pris corps avec le commerce triangulaire de mentions lorsque des noms de rue illustrent des armateurs de ces périodes.

Non à la reconstitution d’une mémoire unique, cadrée selon des préceptes d’aujourd’hui et niant les parcours des femmes et des hommes dans leurs diversités, avec leurs forces et leurs limites.

Je ne me suis jamais senti devenir raciste en lisant Tintin au pays du Congo, pourtant clairement colonialiste et je n’ai jamais demandé que ne soient plus étudiés les écrits de Sartre, qui pourtant a souvent fait des choix plus que discutables, qui a pris des positions bien contestables, mais qui mérite considération, pour son œuvre.

De la nouvelle dénomination d’un roman d’Agatha Christie, où « dix petits nègres » doivent disparaître, à l’impossibilité de faire rééditer les pamphlets de Céline (en une édition critique et scientifique, bien évidemment) jusqu’à la récente demande de déboulonnage d’un pan entier de notre Histoire en travestissant la philosophie des Lumières, en la résumant à un compagnonnage accepté du code Noir, l’on dénature notre passé.

Et l’on se complet en une rhétorique assumée de vérité unique.

On ne fait pas progresser le débat contre les intolérances et contre les absences de concorde avec une opinion dogmatique et qui tranche, enlève, déboulonne et met à bas.

On renforce, au contraire, toutes les incompréhensions et on fige les nivellements par le bas.

Troisième coup de gueule contre les demandeurs de sacré qui veulent corseter l’humour.

Je fus, je suis et je serai toujours profondément, résolument, Charlie !

J’aime rire de tout et je pourfends toute demande qui voudrait créer un délit de blasphème.

Comme vous, Amie Lectrice et Ami Lecteur, j’ai des choses qui me font, cependant, plus rire que d’autres, mais je n’interdirai personne de rire à des choses qui ne me feraient pas rire.

Et je préfère le débat sur un avis différencié sur un rire, sur sa qualité, sur son talent, plutôt que de frustrer ou d’interdire une forme de rire.

Quand Reiser, en ma jeunesse, faisait un dessin, où la sainte vierge déclarait qu’elle avait été violée par les rois mages (« ils étaient trois, dont un noir », rajoutait la bulle), cela provoquait, mais cela s’appelait du rire irrévérencieux, sans sacré.

Quand Desproges dans un de ses sketchs, évoquant Himmler, « de retour de villégiature en Hollande, et se rendant en un camp de concentration, qui proclamait que l’on ne pouvait pas être à la fois au four et au moulin… », il n’était ni négationniste, ni antisémite, ni n’avait envie de scandaliser, il voulait faire rire, en considérant que son public averti allait prendre sa vanne au vingtième degré.

Donc à la différence des « culs serrés » qui se constituent de plus en plus, surtout en ces moments rudes où les attentats de janvier 2015 sont  jugés, et qui d’Edwy Plénel à Virginie Despentes (qui pourtant avec Baise Moi était bien loin du sacré…) en passant par le dogmatique penseur pétri de certitudes empesées Mélenchon, je soutiens les humoristes qui réfutent tout sacré, qui prônent la caricature pour montrer nos faiblesses et lâchetés quotidiennes.

J’appuie aussi toute forme d’irrévérence, car des bouffons du Roi aux Conteurs chansonniers, c’est toujours avec le rire et l’humour que l’on a développé la politesse du débat, car le décalage fait mal là où les sujets sont souvent rassis, rapiécés, pétris de non-dits, en empêchant  toute élévation.

Merci Amie Lectrice et Ami Lecteur, pour votre tolérance permanente, votre ouverture et votre fidélité.

Merci d’avoir écouté mes trois coups de gueule !

Et je le répète : je n’ai pas la vérité, la vérité est et doit rester plurielle !

Éric

Blog Débredinages

Illustration, Hergé copyright