Auriez-vous envie de connaître les réalités effectives d’un plateau de tournage, auriez-vous intérêt à repérer les relations concrètes entre acteurs, producteurs, scénaristes, journalistes culturels au moment où les contrats se signent, au moment où le casting organisationnel s’annonce ?

Si vous répondez par l’affirmative : alors rendez-vous immédiat pour la lecture de « L’Antidote », roman noir, vénéneux à souhait, sans aucune concession.

Gloria Borand, actrice qui a vécu des heures fortes, qui n’est plus appelée depuis quelques temps déjà, vivant du souvenir de l’homme aimé, artiste parti pour le grand voyage, via l’overdose, décide de réunir, en un lieu insulaire écarté, d’accès compliqué, un producteur et son épouse, un metteur en scène et son assistant, un agent et sa dulcinée – journaliste – à la plume acérée mais aussi princesse du bon goût, valorisant ce qui est attendu (je vous rassure, il ne s’agit bien que d’une fiction)…

Arrivés tous, tant bien que mal, en un manoir plus proche des références Écossaises, avec fantômes potentiels, un brin sinistre, malgré sa décoration enjouée et stylisée, on porte un toast de retrouvailles, puisque tous les invités se connaissent, ont travaillé ensemble par le passé lorsque l’un des protagonistes s’effondre…

Gloria précise qu’elle a sciemment voulu empoisonner les convives, qu’un à un leur sort est scellé, on ne sait pas si un antidote existe…

Le roman ne fait que commencer, il vous apportera sa dose de suspense, ses soubresauts ou virevoltes incessants, et, je vais – une fois n’est pas coutume -me taire (si certaines ou certains s’esclaffent en disant « chouette enfin », recevez mon sourire le plus carnassier…) pour vous donner envie d’aller plus loin, par vous-même, pour respecter surtout l’énergie captivante du livre.

L’auteur va se livrer ensuite à un dépècement absolu, mais salvateur, des comportements des milieux artistiques et cinématographiques où l’on retrouvera, pêle-mêle, un assistant plus porté sur la santé de son chien que sur sa propre implication, mielleux à souhait, sans caractère propre, un metteur en scène avide de citations mais strictement limité en créativité, surtout flagorneur circonstanciel par matérialisme, un producteur qui n’hésiterait pas à renier ce qu’il a de plus cher, y compris son épouse, pour une signature contractuelle, un scénariste qui considère que son talent est proportionnel à sa fantaisie ou à sa dose de méchanceté…

Tout cela ne vous rappellera rien, bien évidemment, nous sommes strictement dans le récit fictif, jamais, ô grand jamais, nous n’avons entendu de scénariste vaniteux, pédant, de producteur se livrer à l’exceptionnalité de sa relation avec les acteurs qui ne peut être que d’abord un lien humain, en aucun cas une réalité chiffrée, ou de metteur en scène s’extasiant sur les prouesses de ses partenaires alors qu’il ne les supporte pas, qu’il évoque la force du travail d’équipe en pensant surtout à sa seule identité bouffie de suffisance…

De ce qui adviendra en ce jeu de massacre, il vous faut pénétrer l’univers de Raffy Shart pour l’analyser, mais je salue cet opus décapant, écrit en alternance permanente avec dialogues incisifs et descriptions oniriques ou fantastiques, qui n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat pour plaider pour une plus grande vérité dans les relations artistiques, pour une reconnaissance des réels talents, en évitant les emphases mais aussi pour affirmer des considérations humanistes dans la créativité et non des rapports glauques ou surannés sans capital de progrès inspirant.

A lire pour méditer, pour bien rire dans les studios de tournage…

Éric

Blog Débredinages

L’Antidote

Raffy Shart

Cherche-Midi Éditions