Amie Lectrice et Ami Lecteur, je sais que je vais me placer avec des répétitions, auprès de vous, et je fais appel à votre mansuétude pour tenter de me pardonner…

Non par esprit de provocation ou par défense des causes perdues ou inconséquentes, mais simplement par une nécessité personnelle d’aller puiser directement dans les textes et les écritures, pour alimenter mon opinion et ainsi organiser mon libre arbitre, je lis souvent des livres d’écrivains très en vogue, en leurs temps, mais qui ont du mal à survivre à un certain ostracisme qui les a frappés, du fait de leur rattachement à la liste des écrivains qui avaient cédé aux pratiques antipatriotiques pendant l’Occupation.

Pierre Benoît, disciple de Barrès et Maurras, est-fut de ceux-là.

Sa trop grande préciosité, son goût pour le dandysme, et parfois même pour une certaine pédanterie, lui ont fait préférer, non par désinvolture ou lâcheté, mais par esprit de confort et facilité vénale du bien vivre, les couverts de la Continentale et les invitations de confrères pangermanistes plutôt que rappeler en permanence la nécessité d’une liberté assouvie (que l’on retrouve en tous ses livres) et son esprit de concorde.

N’oublions pas néanmoins que le premier livre du Livre de Poche fut son œuvre de référence Koenigsmark, que l’on ne lit plus aujourd’hui, et qui se consacrait comme un classique de littérature ciselée, inventive, émotive et passionnelle, sorte de romantisme de nouvelle vague, puisant beaucoup dans Musset, revisité et mis en relief avec le contemporain.

Et vous ne pouvez visiter les ruines émerveillantes d’Angkor (je l’ai fait en 2014) sans relire Le Roi lépreux, en se rendant justement sur le site-hommage, terrasse, qui lui est dédié dans la Cité Khmère.

Le lac salé est un livre écrit de manière rayonnante : avec des phrases jamais maniérées, mais riches et enlevées, des sentiments jamais mièvres mais toujours exaltants, des profondeurs jamais sarcastiques ou caricaturales mais toujours assouvies, des ironies jamais de façade mais toujours cruelles et décapantes.

L’héroïne, Annabel, vient d’Irlande, l’Irlande catholique, celle qui recherche, en ce mitan du XIXème siècle qui précède la guerre de Sécession aux États-Unis, son indépendance de la Grande-Bretagne, et dont le père, décédé, a toujours appuyé la cause dite rebelle, pour permettre à l’île de prendre son destin en main.

Elle vit en une belle maison, avec des domestiques Noirs, qui sont en statut libre, et elle est conseillée et appuyée par le Père d’Exiles, un jésuite qui a pour mission d’évangéliser les tribus Indiennes, et qui le fait dans le respect de leurs traditions et sans jamais considérer que son dogme s’opèrera par la force ou une quelconque soumission ; il accepte tous les débats théologiques et imagine même une sorte de syncrétisme entre sa religion et les préceptes ancestraux de celles et ceux qu’il rencontre, notamment en Utah.

La maison est située près de Salt Lake City, ville édifiée par les Mormons, qui veulent organiser leurs espaces comme une nouvelle Jérusalem et qui considèrent leur nouvelle donne spirituelle comme un enjeu de pouvoir et de domination assumée.

L’armée Américaine s’est déployée, des combats ont eu lieu et un quasi pacte de non-agression s’est structuré : laisser les troupes prendre leurs terrains de conquête sur l’ouest des États et laisser faire les Mormons en leur ville, en s’assurant seulement qu’ils se cantonnent en leur Cité et n’imaginent pas la faire déborder…

Un pasteur de passage, aumônier dans l’armée Américaine, rencontre Annabel et son attirance pour elle n’est pas feinte, comme il est aussi troublé par la fille d’un des maîtres de la doctrine Mormone…

Le livre se construit, tout en tiroirs, avec des allers et retours récurrents entre :

  • l’amour positif, éclairé, d’une vie à organiser dans le respect mutuel, et l’amour soumis, hiérarchisé, comme chez les Mormons, avec des épouses figurées avec des numéros correspondant aux jours de la semaine où elles pourront partager la couche du Maître…
  • la rencontre très forte et marquante du Père d’Exiles avec les Indiens – où il leur reprochera l’assassinat de soldats considérés comme des colonisateurs, mais qui acceptera son sort quand ces mêmes Indiens lui reprocheront d’avoir fait un rapport aux autorités qui aura provoqué le massacre de tribus, en représailles – et la vision de Mormons qui placent les Noirs comme des objets et des meubles, qui les assujettissent comme des biens sur lesquels on marquerait la propriété, comme feu le Code Noir terrifiant…
  • la facilité d’accepter son sort, fusse-t-il lié à des erreurs de choix ou d’interprétations et la capacité à se rebeller quand la trahison est utilisée et que ni le temps, ni les événements, ne sauraient pardonner.
  • la dynamique racontée, en une plume avide, de natures sauvages et désertiques, emplies d’une faune ornithologique exceptionnelle et la fadeur de villes construites sans âme et sans relief, avec juste la présence majeure, lourde et oppressive de bâtiments répétés, qui structureraient une autorité qui serait indépassable…

Je vous laisse lire Pierre Benoît, qui peut vous apparaître pompier à la première salve de lecture, mais qui vous saisira par un emploi façonné de la langue, et surtout par une énergie de ressources vives qui parsèment ses personnages toujours volontaires, aiguisés, mais qui vivent souvent des moments rudes et tendus qu’ils affronteront pour des conclusions souvent compliquées…

Une œuvre rare, comme un bon vin en bouche ; allez comme un Condrieu avec un fromage frais du pays d’Ampuis.

Éric

Blog Débredinages

Le lac salé

Pierre Benoît

Le Livre de Poche, édition de 1969 ; trouvée chez un bouquiniste pour 3€