Amie Lectrice et Ami Lecteur, vous savez comme j’aime suivre, et comme j’apprécie, les pas des écrivains voyageurs, seuls à même de repérer les sensibilités qui ne se dévoilent pas aisément et seuls capables de cerner les essentiels, aux détours de leurs promenades, entre rencontres avec des autochtones qui finissent par s’épancher sur leurs vécus, car la confiance a été gagnée, et entre découvertes en paysages à couper le souffle et souvent inconnus, car gravés en dehors des sentiers battus.

Sylvain Tesson, je l’avais « arpenté », en sa solitude volontaire face au lac Baïkal, en Sibérie, où sa connaissance du peuple Russe m’enthousiasmait et où sa candeur toujours affermie, quand il décidait de partir en exploration, donnait un regard incisif avec la nature et un désir de communion intacte et sauvage avec flore et faune. Il voulait s’investir en une plénitude d’introspection, pour se placer dans le silence, la lecture et la méditation et profiter de ce que l’on peut récolter de ses mains et contempler les paysages, à satiété, considérant que même s’ils apparaissent identiques, ils se renouvellent à chaque instant…

Je l’avais aussi « suivi » sur le chemin de retour de la Grande Armée, lors du terrible passage de La Bérézina, avec non pas une nostalgie d’Empire, mais simplement la compassion nécessaire pour des Grognards qui avaient sillonné l’Europe pour apporter les idéaux de liberté et d’émancipation, avec une confiance effrénée pour leur Guide qui avait la force et l’impulsion de renverser des Montagnes…

Sylvain Tesson, un soir d’été, après avoir consommé une dose d’alcool qu’il a toujours définie avec une certaine envergure…, est grimpé sur un toit de villa et a fait une chute rude, qui aurait pu le laisser sans vie, et qui l’a conduit vers un séjour hospitalier marquant de reconnaissance pour l’empathie de ses personnels et pour leur appui pour sa reconquête, avec la nécessité de revenir à la profondeur des choses : l’amour des siens et le plaisir des petits moments partagés.

Sur son lit d’hôpital il se donne un défi : s’il arrive à remarcher et qu’il n’est pas trop cabossé ou boxé par les séquelles et blessures, il parcourra la France à pied, par les chemins noirs, ceux que l’on oublie, qui ne sont pas référencés par les sentiers de randonnée et qui traversent la France en sa géographie et en ses vécus majeurs.

Entre le mois d’août et le mois de novembre, Sylvain Tesson rejoint le Mercantour au Cotentin, par les chemins qui se greffent sur les célèbres cartes d’état-major et de l’IGN, au gré des mélancolies du temps, en dormant à la belle étoile ou sous tente, au fur et à mesure des rencontres qui arriveront ou pas.

Sans me livrer à une litanie des promenades qui ne serait nullement liée à la lecture du livre, qui enchante, car l’auteur développe toujours une langue ciselée et exigeante, qu’il entrelace de rêveries, de rappels poétiques, de citations d’auteurs chéris, de commentaires personnels où l’humour affleure, je vais vous fredonner quelques données agrégées en la promenade de l’auteur.

Il aime aussi enchevêtrer des considérations sur les réalités qui nous environnent, avec son penchant naturel vers l’acceptation récurrente de la différence et du désordre qui valent beaucoup mieux, selon lui – et je partage -, que les jugements de valeur et les conformismes, surtout dans ce que l’on appelle l’aménagement du territoire.

Dans le Mercantour et les Gorges du Verdon, il vagabonde entre les lumières, les pierres sèches et les contacts avec des agriculteurs qui renouent avec la vente directe, lassés d’être les laissés pour compte d’une marchandisation qui fait la part belle aux intermédiaires.

Dans le comtat Venaissin et aux abords du Mont Ventoux, il grimpe, prend son temps, arpente, observe et reconnaît que les villages deviennent standardisés, que les touristes apprécient pourtant ce qu’ils y repèrent de typique ; il analyse qu’il n’est plus envisageable de produire du vin sur des parcelles réduites, la préférence étant donnée aux coopératives sans relief et insipides.

La traversée des Cévennes et de l’Aubrac, en franchissant le Rhône, lui permet de savourer des espaces que la faune veut reconquérir mais que l’Homme veut s’accaparer, assurant à l’auteur la possibilité de confirmer ses réflexions sur la nécessité de laisser du temps au temps et de laisser respirer les terres et la nature, et de ne pas imaginer, en permanence, de combler les vides.

La poursuite, en Massif Central, par les Monts du Cantal et sa jonction avec le Limousin l’obligent à dénicher quelques auberges, car les nuitées deviennent plus fraîches et obscures, avec une pluie fine et incessante, mais lui permettent d’organiser sa marche en un secteur qui échappe encore aux volontés d’organisation et de structuration pour que la nature suive sa voie.

La remontée par la Touraine et le Lavallois assure que son état physique peut supporter l’ardeur et l’arpentage et lui donne un élan rappelant que rien ne peut être plus consolidé pour aller mieux que de pousser ses limites, même si la consommation d’alcool lui est interdite…, notre auteur s’adonnant à des sirops, avec les regrets d’une vie passée moins rationnelle…

L’arrivée en Cotentin concrétise une traversée personnelle pour retrouver sens à la vie, après avoir failli la perdre, en souvenir aussi de sa Maman aimée, qu’il ne voulait pas cependant rejoindre trop vite, avec l’assurance que l’on peut, en France, rencontrer encore des authenticités, observer une nature plus vierge et développer des contacts personnels, en réfutant les réseaux souvent abrutissants des connections numérisées.

Ce livre se lit comme un nectar qui apaise, comme un plaisir de partage en une soirée amicale où l’on réinvente le monde et il donne une note optimiste pour celles et ceux qui veulent avancer sans être encadrés et qui veulent marcher en donnant libre cours à leur douce fantaisie et non en suivant des pas dictés.

Vive les romanciers voyageurs !

 

Éric

Blog Débredinages

 

Sur les chemins noirs

Sylvain Tesson

Collection Folio, environ 8€