Cet auteur m’apparait indépassable, vraiment.

Il a consacré sa vie à l’analyse de la période sombre de l’Occupation et de la Collaboration, en n’omettant jamais de rappeler les soubresauts de l’époque où nombre de protagonistes oscillaient entre acceptation des réalités du moment, adaptation aux lois d’exception et facilités à montrer leur esprit de résistance circonstancielle ou de double jeu, aux lendemains des libérations de 1944, et un rappel implacable et saisissant des comportements les plus habituels, lors de ces années troubles et terribles, sans jamais les juger, mais sans jamais se placer aussi en amnésie humaniste.

Les fourreurs Fechner ont émigré en France, en fuyant les lois raciales que les plus que bruits de botte annonçaient à l’est, avec l’espérance que leur pays d’accueil leur permettrait un exil en sécurité et préservation de leurs droits en humanités…

L’auteur, chercheur contemporain aux archives, centré scientifiquement sur la période 1940/1944, avait voulu savoir ce qui avait entraîné une enquête de la police dite des affaires juives, sur la famille Fechner, et qui avait provoqué que nombre d’entre eux soient déportés et jamais revenus des camps de la mort.

L’auteur, cousin de la famille Fechner, leur devait, en son travail, la vérité des faits, même en la plus basse de ses ignominies.

Il remarqua une lettre de dénonciation anonyme, aux archives, mais que le commissariat aux affaires juives, très organisé en ses missions les plus viles, avait relevé, avec l’indication de la personne qui s’était prétextée de cette missive, une dénommée Madame Armand, fleuriste de son état.

En informant la famille Fechner de sa dénonciation par Madame Armand, l’auteur créa un émoi considérable, car Madame Armand était cliente du magasin, en le passé, et toujours depuis lors…

Ce roman biographié ou cette biographie romancée s’interpénètre en nos veines et s’attache, en une narration enlevée, à la manière d’une enquête policière, à ouvrir des pistes, pour que la justice prenne ses droits et pour répondre aux questions essentielles :

  • Pourquoi Madame Armand a-t-elle dénoncé ses voisins commerçants, avec lesquels elle entretenait des rapports cordiaux, qu’elle a développés aussi avec les survivants de la famille ?
  • Pourquoi est-elle si marquée par des cicatrices physiques qui se structurent comme une fêlure permanente, sur son visage ?
  • Pourquoi, quand l’auteur l’approchera pour parler avec elle, sans se positionner comme Procureur, reprendra-t-elle des réflexes antisémites dans son verbe, en ne montrant aucune compassion et plutôt en considérant que les juifs ne sont pas les seuls à avoir souffert des infamies de la guerre…
  • Pourquoi la famille Fechner n’a-t-elle pas volonté ou envie de porter plainte ou de demander réparation pour l’acte insupportable commis et envoyant à la mort ces ascendants, dans des conditions atroces ?
  • Pourquoi est-il si difficile de juger avec nos regards actuels de la réalité vécue en cette sombre période ?

Pierre Assouline apprendra que Madame Armand avait son frère en stalag et qu’il n’allait pas bien… et que la police aux affaires juives lui avait manifesté un message, reprenant des propos du Maréchal, précisant que si elle se comportait en « digne patriote », on pouvait aider son frère…

La lettre rédigée était-elle une sorte de capitulation face à la détresse et à la perception que mieux valait accepter une inconséquence, qui déchirerait la conscience, plutôt que d’abandonner un être cher que l’on pouvait sauver, même par la lâcheté la plus suffisante…

Ce roman ne laisse pas indifférent, il prend aux tripes et il nous interroge sur notre capacité à décider de nos choix, en des situations extrêmes, et à suivre la voie de l’humanité, quel qu’en soit le coût, ou à s’accommoder de l’inconcevable, même au profit d’un intérêt qui ne soit pas seulement financier ou matérialiste…

Quand Jean-Moulin rencontra son futur secrétaire Cordier, ce dernier lui rappela son passage par les Camelots du Roi, par l’Action Française, par les ligues et Jean Moulin de lui dire : « je ne louerai jamais assez mes parents de m’avoir élevé dans l’enceinte des vertus de la République… ».

Un livre édifiant, fort, majeur et percutant, réflexif et témoignage de nos réalités vécues, en toutes leurs acceptions, même les plus insoutenables !

 

Éric

Blog Débredinages

 

La Cliente

Pierre Assouline, de l’Académie Goncourt

Livre intégré dans le recueil paru récemment, dans la collection « Bouquins », et dénommé « Occupation », romans et biographies.

32€

Robert Laffont Éditions