Amie Lectrice et Ami Lecteur, voilà un livre qui ne vous laissera aucunement indifférent et qui sait associer décalages, humour détonateur, rétif à toute forme de convention, et qui s’attache aussi à poser les fondations d’une nouvelle réalité sociétale, espérée plus ouverte, plus solidaire, plus partageuse, plus fraternelle.

Nous sommes en 2004, en Moldavie, au moment où le pays s’attache à remplir les conditions pour devenir un jour prochain membre de l’Union Européenne, et qui reçoit régulièrement les visites de certains sbires de la commission de Bruxelles ou des édiles du Fonds Monétaire International pour vérifier s’il se comporte en les critères programmés ou prévus…

Ben Laden est activement recherché par tous les services secrets du monde entier et en un endroit assez improbable du centre de Chisinau, la capitale du pays, un dénommé Oussama semblerait bien répondre au profil de l’ordonnateur des sinistres attentats du 11 septembre…, alors qu’il travaille dans un restaurant de chawarma, sandwich orientaliste où la découpe des concombres, ingrédient essentiel en sa composition, demeure impérieuse. Et justement cet Oussama est préposé à cette mission fondamentale, ce qui ne peut que sacraliser une correspondance avec le fondateur d’Al Qaïda…

Le responsable des services secrets de Moldavie, Tanase, épris d’amour pour une Natalya à laquelle il dédie des poèmes surannés et sans relief et qui ne comprend pas avoir été quitté, ne cernant pas que la jeune femme recherche exclusivement des plans sur contrat très déterminée et sans engagement, reçoit, alors qu’il interroge de manière assez vive, un journaliste, la communication paraissant assurée que le lieutenant Petrescu, lui-même issu de la police secrète, serait l’instigateur ou le commanditaire d’un réseau terroriste en Moldavie, affilié à Ben Laden…

S’enchevêtrent ensuite, en ce roman loufoque et savoureux, des situations grotesques et carnavalesques, mais concrétisant aussi les excès et inconséquences du pays, en ses dérives sécuritaires ou dans son fonctionnement de surveillance :

·         Tanase va déléguer un de ses collaborateurs pour marquer de près Petrescu. L’agent désigné va se transformer en sans domicile fixe, va vivre avec tous les clochards de la cité, qui par tradition peuvent être invités à festoyer à chaque mariage organisé dans la ville. Pour se donner un temps certain pour vivre pleinement ces moments de liesse pour boire et manger, il sera transmis chaque jour à Tanase un rapport totalement imaginaire à écriture de plusieurs mains, qui montre que l’on peut ne pas avoir de métier ou d’appui social  sans pour autant ne pas savoir taquiner la plume ou ne pas savoir faire place à la fiction débridée…

·         Un jeune stagiaire va être affecté pour mettre fin aux jours d’un chef séparatiste de Transnistrie, sans cerner qu’il sera lui-même la victime d’une machination manipulatrice et sera ensuite « nettoyé » pour ne pas laisser de trace sur sa prétendue action, mais qui s’en sortira, en naviguant cependant entre réalité et songe, adopté par un ancien SS resté sur site, post deuxième guerre mondiale…

·         Oussama appréciera que l’ensemble des immigrés des pays Arabes lui affectent une dévotion à Chisinau, mais la transformation de ce moment de décalage ponctuel avec l’affirmation d’une secte pour laquelle la recherche d’argent constitue l’élan essentiel, contribuera à le lasser…

·         Natalya croisera la route de Petrescu qui compte bien en profiter, même si les écoutes des ébats font pâlir de jalousie Tanase, qui en viendra même à des pensées suicidaires…

·         Et les manifestations dans le pays, où les étudiants demandent le maintien de la gratuité des transports, ne semblent pas effleurer une volonté d’analyse prioritaire chez les décideurs

Pour qui, comme moi, a apprécié avec ferveur, le livre phare de l’auteur « Des mille et une façons de quitter la Moldavie » paru chez Mirobole en 2014, vous retrouverez, en cet opus, écrit en amont, la capacité palpitante de Vladimir Lortchenkov, pour parler des réalités rudes, en les malaxant avec un humour salvateur et décapant

L’auteur ne cherche pas à dénoncer ou à dénigrer, ni à juger ou à moraliser, il se permet simplement d’évoquer des services de surveillance tellement tatillons qu’ils finissent par considérer suspect toute personne de proximité, de préciser que l’irrationnel se place souvent en règle dans un pays qui cherche son identité post fin du soviétisme, et de plaider pour la concorde et l’amour libre, pour qu’au moins les protagonistes et personnages aient le loisir de prendre le plaisir qui leur est dû, parmi un vécu compliqué et un avenir assez incertain

Je n’ai pas encore eu le loisir de côtoyer Vladimir, mais je sais que la rencontre se fera et que j’aurai plaisir à bavarder avec lui, et pourquoi pas en dégustant un chawarma

Un livre drôle et qui donne à réfléchir et qui augurait déjà d’un réel talent pour rendre compte des insuffisances sociétales, et pas que Moldaves, en juxtaposant « absurdie » et fantaisie

L’intégration de longs moments sur le déluge et l’arche de Noé, que je ne vais pas ici raconter, dans le roman, aiguise encore plus notre appétit de lecteur et notre friandise de gaudriole, avide de se moquer de toutes les sacralisations

A ta santé, Vladimir, et amitiés vives et le bonjour à la librairie « Le Port de Tête » au Mont-Royal Est, de ma part, si tu t’y promènes.

 

Éric

Blog Débredinages

 

Le Dernier Amour du lieutenant Petrescu

Vladimir Lortchenkov

Traduit toujours fidèlement du russe (Moldavie) par Raphaëlle Pache

Agullo Éditions, avec mes amitiés aussi à Nadège pour son travail plus qu’appréciable pour la littérature différente !

21.50€